Les Billets d’humeur
Une Europe vieillissante
Lorsqu’en 2016 il était venu à Strasbourg s’adresser aux parlementaires européens, le pape François avait évoqué, cette « Europe grand-mère, non plus féconde et vivante ». L’Europe qui devrait avoir la soixantaine frétillante ne séduit plus vraiment. On nous annonce une abstention record. Pourtant, née sur les décombres de deux guerres mondiales, elle avait suscité l’espérance de beaucoup en un monde de paix, plus solidaire et fraternel. Aujourd’hui la flamme semble flétrie.
Il faut dire qu’en six décennies, cette grand-mère a multiplié les occasions de prendre des rides. D’abord l’intégration des Britanniques dont les gouvernants successifs n’ont cessé de freiner les ardeurs des autres ; les crises pétrolières des années 1970, l’inflation et le chômage qui s’ensuivirent, et cette tentation récurrente des gouvernants de mettre sur le dos de Bruxelles la rigueur budgétaire ; dans les années 1980, les élections de R Reagan et de M Thatcher et la mise en place de politiques libérales vont miner les fondements keynésiens de la construction européenne, – la PAC, en particulier -, que la mondialisation accélérée des années 1990 achèvera. En 1989, la chute du Mur de Berlin modifiera les équilibres subtils, avec un renforcement de la puissance de l’Allemagne, que les élargissements vers les pays de l’Est consolideront. Le marché unique puis l’Euro ne suffiront pas à enrayer cette évolution, pas plus que le scepticisme grandissant des Européens. D’ailleurs en passant, en 1992, de Communauté à Union européenne, l’Europe semblait oublier la part de fraternité qui présidait à l’élaboration du Traité de Rome. Plus tard la crise financière de 2008 montrera les limites de la solidarité, que l’arrivée de migrants ne fera qu’accentuer, dans une Europe plus tentée par la construction de murs que de ponts, sous la pression de puissants mouvements populistes ou souverainistes. Et puis, pour couronner le tout : le Brexit, avec ce paradoxe que les Britanniques vont élire des parlementaires européens !
Que d’incohérences et pourtant, face aux enjeux géopolitiques et environnementaux vitaux, on a plus que jamais besoin d’Europe…
De la difficulté de dialoguer
Notre société médiatico-politique est ainsi faite. Quoi que dise, quoi que décide le chef de l’Etat (quel qu’il soit d’ailleurs), l’on retrouve à chaque fois le même scénario. La conférence de presse de jeudi dernier n’échappe pas à la règle, avec des macronistes enthousiastes, des opposants de droite et de gauche campant sur leur posture, des gilets jaunes toujours aussi rebelles, sur fond d’une France de plus en plus fragmentée et, qui a vu s’étioler ses références culturelles communes, comme l’a montré récemment le politologue Jérôme Fourquet dans son livre L’Archipel français. Comme si, pour ceux qui sont au pouvoir ou qui veulent y accéder, l’objectif premier étant de conforter son noyau politique, atteindre les 25 % de suffrages exprimés pour s’imposer ensuite. On est loin du désir de Valéry Giscard d’Estaing à la fin des années 1970 de rassembler deux Français sur trois, même si, à l’époque, il n’a guère convaincu.
Le Grand Débat n’a donc pas permis d’établir un vrai dialogue au sens philosophique du terme, à savoir produire un diagnostic intégrant les arguments des uns et des autres en vue d’élaborer une conclusion où chacun puisse se retrouver. Avec pour objectif final de fixer un cap partagé par le plus grand nombre. Cet épisode me rappelle un livre iconoclaste publié en 1995, et ô combien d’actualité !, par le sociologue Michel Crozier : La crise de l’intelligence : essai sur l’impuissance des élites à se réformer. L’auteur de La Société bloquée en appelait à une révolution intellectuelle, dénonçant les grands corps et les grandes écoles à la formation contre-productive, car préparant plus à la réussite personnelle qu’aux responsabilités. Il évoquait la suppression de l’ENA, mais n’y croyait guère, et considérait qu’une réforme bien conduite s’appuyant sur l’écoute des acteurs permettait de transformer les mentalités et le système. C’était au siècle passé, une éternité !
Hommage à Notre-Dame
« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée… » Prémonitoire, cet extrait de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, publié en 1831. L’auteur des Misérables ne pouvait imaginer l’immense émotion des spectateurs du monde entier, croyants et incroyants, Français et Etrangers, face à cette cathédrale, témoin d’éternité et de fragilité, qui partait en flamme. Tous émus, unis comme par un deuil, tant Notre-Dame, haut-lieu de célébration monarchique sous l’Ancien Régime avant de promouvoir sous la Révolution le culte de la raison, incarnait l’histoire religieuse et l’Histoire, tout court : du sacre de Napoléon aux obsèques officiels de Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterrand, sans oublier le Te Deum de la Victoire de 1918 et celui de la Libération de Paris, en 1944.
Mais cette cathédrale comme les 87 autres de l’Hexagone ne reflète pas seulement l’histoire de l’urbanité. Car comme le notait, dans Le Temps des cathédrales, l’historien Georges Duby, qui voyait dans les sculptures des bœufs placées au sommet des tours d’un autre joyau du gothique, la cathédrale de Laon, comme un hommage rendu au travail rustique : « L’art urbain, l’art des cathédrales a puisé dans les campagnes proches le principal aliment de sa croissance et ce furent les efforts des innombrables pionniers… qui, dans les succès d’une immense conquête agricole, le portèrent à son accomplissement ». En premier lieu, cette charpente de Notre-Dame constituée de 1 300 chênes vieux de plus de 900 ans.
Mais pour un chef d’œuvre meurtri suscitant tant de compassion et de générosité, combien d’églises en péril (parfois de petits joyaux) oubliées dans nos villages !
Des céréales et des hommes
Le regard porté par les anthropologues sur le néolithique a beaucoup changé au cours des dernières années. La dernière contribution en date est celle de James Scott, un politologue américain de 83 ans, ancien professeur d’anthropologie à Yale, par ailleurs propriétaire d’une ferme où il élève poules, moutons, vaches et abeilles, qui propose, dans son livre Homo Domesticus – une histoire profonde des premiers Etats, une relecture de cette période, rompant avec ce qu’il appelle « le récit civilisationnel standard » d’une révolution néolithique, – marquée par l’invention de l’agriculture, la sédentarité, les premières villes, la spécialisation des tâches, l’écriture, puis la constitution des premiers Etats et l’émergence de la civilisation -, et considérée comme facteur de progrès. « Le passage de la chasse et de la cueillette à l’agriculture a apporté au moins autant d’inconvénients que d’avantages », écrit James Scott. Sans tomber dans l’image du bon sauvage, il constate que les chasseurs cueilleurs maîtrisaient des techniques agricoles complexes, travaillaient beaucoup moins (3 à 5 heures par jour), mangeaient plus diversifié et étaient moins victimes de famines et d’épidémies.
L’apport original de cet ouvrage est de montrer comment les céréales vont s’imposer de manière hégémonique dans le paysage agricole, du fait notamment de la progression démographique, et jouer un rôle essentiel dans la création des premiers Etats (vers 3200 avant J.C. en Mésopotamie) assurant protection en échange d’un contrôle des richesses par le biais de l’impôt. Le blé, produit mesurable, visible et se conservant aisément (contrairement à la pomme de terre et aux légumineuses), est en effet une base fiscale idéale pour prélever l’impôt. Et c’est bien là le problème, pour James Scott, auteur d’un Petit Eloge de l’anarchisme, qui voit dans ces Etats avant tout une source de servitude et d’insécurité. Au point que, tout au long de la lecture de ce livre passionnant et à l’érudition impressionnante, l’on se demande qui, de l’homme ou du blé, a domestiqué l’autre.
Homo Domesticus – une histoire profonde des premiers Etats – La Découverte – 279 pages – 23 € – janvier 2019.
Le Grand Débat…
Je n’en fais pas un titre de gloire mais depuis que j’en ai le droit (et le devoir ?), j’ai participé à tous les scrutins. Alors, me dis-je, dans cet élan citoyen, pourquoi ne pas apporter ma pierre au Grand Débat National. Après tout, c’est une expérience nouvelle qui ne se représentera peut-être pas de sitôt, surtout si la montagne accouche d’une souris ! L’on m’a dit que cela prenait dix minutes. Je vous passe les déboires du net (par ma faute !) qui me prennent plus de cinq minutes, avant d’attaquer les quatre grands chapitres : transition écologique, fiscalité et dépenses publiques, démocratie et citoyenneté, organisation de l’Etat et des services publics. L’exercice est frustrant, ne laisse guère de place, entre le oui et le non, à la nuance et à la subtilité. Sans parler des questions qui vous mettent mal à l’aise comme celle-ci : « Dans quel domaine faut-il faire des économies ? » Le questionnaire décline les différents secteurs : l’éducation et la recherche (pas question, c’est notre futur !), la défense (on est dans un monde tout de même dangereux !), la sécurité (pour les mêmes raisons que la défense), le social (tant d’inégalités !), l’environnement (vu l’état de la planète !), le logement (il suffit de lire le rapport de la Fondation Abbé Pierre)… Il ne cite pas la justice, la culture, l’agriculture ou la santé (là aussi pas touche !). Reste la case autre, mais là je sèche, avant de répondre : fonctionnement de l’Etat ! Peut-être un peu facile ! Si gouverner c’est choisir, je serai sans doute un piètre politique. A la fin, j’espère ajouter mes petites doléances personnelles, exprimer dans un espace de liberté, mon cri du cœur ou mon coup de colère, mais l’exercice est réservé aux cahiers de doléances dans les mairies ou aux réunions locales. Mais voilà, dans mon désert, pas de réunions locales dans un rayon de vingt kilomètres, ni cahier de doléances dans mon village, le maire justifiant son refus par le mépris (passé !) du chef de l’Etat à l’égard des maires…
En quête d’immortalité ?
En 1976, l’intellectuel Emmanuel Todd, surpris par la hausse du taux de mortalité infantile en URSS, – évolution unique dans un pays industrialisé-, avait prédit dans un livre La Chute finale, la décomposition de l’empire soviétique, quinze ans avant l’éclatement de l’URSS. Il est des indicateurs statistiques qui en disent long sur les évolutions voire les ruptures de nos sociétés. La semaine dernière, l’INSEE publiait son bilan démographique de la France, avec ce constat d’un plafonnement depuis quatre ans de l’espérance de vie des Français, alors que, durant tout le XXème siècle, l’espérance de vie pour les hommes est passée de 45 à 74 ans et pour les femmes de 49 à 82 ans, soit trois mois d’espérance de vie gagnés chaque année. Pour remonter plus loin dans le temps, l’espérance de vie d’un paysan au Moyen-Age ne dépassait pas les 30 ans. Malgré ce plafonnement qui concerne la plupart des pays développés, la France demeure plutôt bien placée (79,4 ans pour les hommes et 85,3 ans pour les femmes), mais elle fait moins bien dans l’espérance de vie en bonne santé.
Alors, ce plafonnement, une rupture ou la reconnaissance que l’on approche de nos limites biologiques ? Sans doute des progrès médicaux, comme vaincre le cancer, permettraient de franchir un nouveau palier, avec quelques années de vie supplémentaires. Loin toutefois des espoirs des mouvements transhumanistes, (- marginaux hier, mais désormais soutenus par de très grandes entreprises) qui, en voulant accroître les capacités de l’homme par les technologies, espèrent prolonger considérablement la durée de vie, voire rêvent d’immortalité. Signe que nos sociétés techniciennes, qui ont désacralisé la mort, acceptent de moins en moins la finitude humaine. « L’éternité, c’est long… Surtout vers la fin », écrivait Franz Kafka, tandis qu’Oscar Wilde conseillait : « Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie aux années ».
Laboureur, cultivateur, agriculteur, céréalier ou éleveur : ce que l’évolution des mots nous dit de l’évolution de la société française
Le Salon de l’agriculture ouvre ses portes ce samedi 23 février à Paris. L’occasion pour Atlantico de revenir sur les évolutions du métier, qui se sont traduites par des évolutions sémantiques.
Avec Denis Lefèvre
Atlantico : Au début du XXème siècle, on ne parlait pas d’agriculteur sur son état civil, mais de cultivateur. Quelles différences soulève-t-on quand on constate le passage de la dénomination de cultivateur à celle d’agriculteur ?
Denis Lefèvre : Au cours de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, le terme de cultivateur a pris la place de laboureur, dans le sens de celui qui exploite la terre. Avec la révolution silencieuse qui a vraiment débuté dans les années 1960, le terme d’agriculteur a remplacé celui de cultivateur. Aujourd’hui, d’ailleurs, dans la profession agricole, l’emploi du mot cultivateur correspond à un matériel réalisant un labourage superficiel. Toutefois depuis quelques décennies, du fait de la spécialisation accrue des exploitations, c’est souvent la production dominante qui détermine la dénomination de l’agriculteur : on parle du céréalier ou du producteur de betteraves, de l’éleveur laitier ou du producteur de viande bovine… A noter aussi, que pendant très longtemps le terme de paysan souvent considéré comme déshonorant voire insultant par la monde agricole, a retrouvé une connotation moins négative depuis les années 1990, car il définit bien à la fois le rôle de l’agriculteur dans la vie d’un pays et la construction de paysages, au-delà de la seule production agricole, et les enjeux contemporains à travers ce triptyque : Pays, Paysans, Paysages.
Le métier de producteur agricole en lui-même a connu de très importantes transformations ce dernier siècle. Outre l’introduction de technologies de pointe, qu’est-ce qui a radicalement changé pendant ces dernières années ?
Les transformations ont été considérables depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En à peine trois générations, l’agriculture a connu une transformation plus considérable qu’entre la naissance de l’agriculture il y a dix millénaires dans le Croissant fertile, et la seconde guerre mondiale. Des bouleversements à différents niveaux. Démographiques d’abord, on est passé de plus de 4 millions d’actifs en 1945 à à peine plus de 400 000 aujourd’hui. Bouleversement sociologique : on est passé d’un monde encore majoritairement rural à un monde urbanisé. Bouleversements technologiques : une vache donnait 1 200 litres de lait par lactation au début des années 1950 et produit aujourd’hui plus de 10 000 litres, tandis que des années 1960 aux années 1990, le rendement en céréales augmentait d’un quintal par an. Bouleversement professionnel : on est passé de l’état paysan au métier d’agriculteur, de l’exploitation familiale vivant en quasi autarcie à des structures juridiques nouvelles et très diversifiées.
Au cours de ces dernières années ces évolutions se sont encore accentuées. Et le monde agricole qui, malgré de fortes disparités, connaissait une certaine homogénéité jusqu’à il y a deux ou trois décennies est un secteur de plus en plus éclaté et désarticulé, avec comme extrême une agriculture de firmes qui obéit à des logiques financières transnationales, sous-traitant parfois l’ensemble des travaux agricoles, et d’autres formes d’agricultures alternatives souvent menées par des acteurs non issus du monde agricole.
Cela peut-il expliquer la crise que connaît aujourd’hui une grande partie du monde agricole français ?
Sans aucun doute. Aujourd’hui les chefs d’exploitation représentent 1,8 % de la population active française. Une évolution unique, pour un secteur qui a été longtemps majoritaire dans la société française. D’où cette crise d’identité, cette crise culturelle au-delà de la crise sociale, qui se traduit à travers trois indicateurs :
Le refus de l’Europe : après avoir été les pionniers de la construction européenne, les agriculteurs ont été la catégorie socioprofessionnelle qui a voté le plus contre la ratification des traités européens (Maastricht et le traité constitutionnel) ;
Le vote Front national qui ne cesse de croître au sein d’une population longtemps rétive aux idées extrémistes ;
Et enfin plus tragiquement, avec un taux de suicide supérieur aux autres catégories socioprofessionnelles.
Disparition du lien entre famille et exploitation, problèmes de transmission, grande diversité des situations, marginalisation à la fois démographique, économique, sociale, culturelle, contribuent à cette perte de repères. O combien révélateur, le développement du thème de l’agriculture urbaine témoigne de cette perte de repère. Il y a un siècle, Alphonse Allais voulait mettre les villes à la campagne parce que l’air y était de meilleure qualité. Aujourd’hui l’agriculture urbaine se veut être un facteur de lien social dans les villes, tandis qu’à la campagne le lien social a tendance à se déliter.
Qui plus est dans un contexte de plus en plus complexe, aux logiques souvent contradictoires, l’agriculture apparaît à contre-courant du monde d’aujourd’hui : à savoir une activité qui demande du temps long dans un monde qui s’accélère de manière vertigineuse ; une activité sédentaire dans une monde qui se nomadise ; une activité ancrée dans les territoires au sein d’un monde globalisé fonctionnant en réseau, une activité très en lien avec le vivant dans un monde de plus en plus digitalisé.
Et pourtant, dans le même temps, l’agriculture se situe au cœur des grands enjeux de la société : enjeux environnementaux (changement climatique, biodiversité, eau, dégradation des sols), enjeux éthiques avec les nouvelles technologies du vivant, enjeux de santé publique, de territoires et de géopolitique, mais aussi de qualité de vie à travers la gastronomie et les paysages.
Le dernier lieu où l’on cause…
Entendue cette semaine à la radio, cette information à propos de travaux réalisés par des chercheurs américains pour tenter de découvrir les recettes en vue de « fabriquer » un best-seller. Pour cela ils utilisèrent un millier d’ordinateurs pour analyser et comparer les grands succès de librairie, niant ainsi la part d’irrationnel dans l’histoire d’un livre ! Que sera notre humanité, lorsqu’il n’y aura plus que des best-sellers conçus par algorithmes ? Déjà que la tendance est à la concentration des ventes autour de quelques dizaines d’ouvrages, sur les 80 000 parutions annuelles !
Cette diversité éditoriale, je l’ai retrouvée samedi dernier dans la petite librairie de Château-Thierry qui m’avait invité pour une séance de dédicaces. Chaque librairie est unique, – celle-ci, par le contexte local, honore le fabuliste Jean de La Fontaine et les ouvrages sur le Champagne et la Grande Guerre -, mais toutes les librairies de France et d’ailleurs ont en commun d’être de riches lieux d’échanges.
Ce jour-là, un ancien brigadier de gendarmerie, une professeure d’allemand à la retraite, des dames qui trouvent dans les livres le meilleur remède contre la solitude, des agriculteurs et des édiles de la ville… échangent sur la disparition des services publics dans les campagnes, les difficultés du commerce de proximité, ou des rapports tumultueux entre agriculteurs et chasseurs, lorsqu’entre dans la librairie une jeune adolescente, accompagnée par son père. Elle a effectué dans cette librairie un stage d’une semaine, et apporte pour remercier de l’accueil une boîte de chocolats à la libraire qui s’empresse de les partager avec les clients.
Dans ce monde, obnubilé par le digital, qu’une collégienne choisisse d’effectuer un stage dans le monde des livres me réconforte quant à l’avenir de l’humanité et me fait oublier cette information sur la fabrication de best-sellers. « Une bibliothèque, c’est le carrefour de tous les rêves de l’humanité », écrivait Julien Green. On peut le dire aussi d’une librairie.
La campagne, pour se reconstruire
Alors que vient de se terminer le Festival de la bande dessinée d’Angoulême, permettez ce coup de cœur pour l’album Les Grands Espaces de Catherine Meurisse. L’auteure, ancienne caricaturiste à Charlie Hebdo, avait échappé à la tragédie en arrivant en retard. Depuis, elle a mis de côté le dessin de presse pour les albums. Son dernier, Les Grands Espaces, raconte de manière drôle et poétique, et avec profondeur et sensibilité, son enfance dans la campagne des Deux-Sèvres, là où a germé sa vocation de dessinatrice. A sept ans, elle sauve les vieilles pierres, crée avec sa sœur un musée des objets trouvés dans la terre, comme Pierre Loti, s’adonne au jardinage, rêve de grands arbres qui donnent ce sentiment d’éternité, imagine un nouveau Versailles, fait d’un nain de jardin son confident. « Le mot le plus employé à la maison était sans doute bouture », écrit-elle. On y observe aussi les grandes transformations des campagnes : la fin des haies, le remembrement, puis le retour de quelques haies mais avec des espèces moins bien adaptées.
Dans cet album, se mêlent nature et culture, littérature et botanique, avec le rosier qui vient de chez Montaigne ou le figuier qui vient de chez Rabelais, le platane appelé Swann, en référence à Marcel (Proust) qui, dans A la recherche du temps perdu, écrit : « Le seul véritable voyage, ce n’est pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais… de voir avec d’autres yeux ». Et notamment le regard des peintres sur la nature (les arbres de Corot, les buissons de Fragonard, les haies de Watteau…) que l’auteure découvre lors d’une visite au Louvre et qui sera à l’origine de sa vocation de dessinatrice. Après la tragédie de Charlie Hebdo, elle a eu besoin de ce retour aux sources, consciente que la nature (comme l’art) peut aider à vivre et que la campagne peut contribuer à se reconstruire. « La campagne sera votre chance », avait d’ailleurs dit la mère de Catherine Meurisse à ses deux filles.
Emmaüs, pionnier de l’économie circulaire
Le mouvement Emmaüs a dès l’origine lutté contre le gaspillage, à contre-courant des trente glorieuses, mais anticipant les comportements aujourd’hui de bon nombre de nos contemporains, de plus en plus nombreux, vers plus de sobriété.
En créant, il y a 70 ans le mouvement Emmaüs, l’abbé Pierre et ses premiers compagnons se sont montrés prophétiques sur bien des points, liant notamment lutte contre l’exclusion et lutte contre le gaspillage, en proposant de refaire une santé dans un cadre communautaire à des personnes que la société a exclues et en leur faisant retaper des objets dont cette même société ne veut plus. A l’époque, l’urbanisation génère de nouvelles habitudes avec la consommation de masse. L’on découvre les déchets, les plastiques et la poubelle. Dans ce contexte Emmaüs va jouer un rôle de pionnier dans les techniques de la récupération et du recyclage inventant le tri sélectif dès les années 1960, anticipant avec le bric-à-brac l’explosion des vide-greniers et des brocantes, puis des boutiques vintage et du e-commerce version le bon coin, et concevant l’économie circulaire, bien avant que les grandes entreprises ne s’y intéressent.
Tous ces éléments demeurent dans l’ADN du mouvement Emmaüs en France comme dans le monde. C’est notamment le cas au village Emmaüs Lescar Pau, la plus grande communauté Emmaüs de France, qui, sous la houlette de son fondateur et actuel responsable, Germain Sarhy, n’a pas cessé d’innover au cours des dernières décennies. La création en 2008 d’une recyclerie-déchetterie liée à la Communauté d’agglomération de Pau a permis le développement d’autres activités. Aujourd’hui, avec plus de 100 000 passages par an, (le samedi, ce sont entre 400 et 600 voitures), Emmaüs Lescar Pau recycle bon an mal an plus de 80 % des 85 000 tonnes de déchets apportés. Ce qui, du point de vue environnemental, permet d’éviter le rejet de 6 030 tonnes de CO2 dans l’atmosphère et donc de limiter d’autant les effets du changement climatique. Des objets en tous genres, des meubles de tous styles, des vêtements de toutes tailles seront réparés, restaurés dans les 27 ateliers que compte le village. Quant aux déchets verts, gravats et autres encombrants, ils seront recyclés dans le cadre de partenariat avec différentes entreprises régionales. L’objectif étant à terme de recycler 100 % de déchets.
Au cœur de l’économie locale et régionale, Emmaüs Lescar Pau compte rien que pour le recyclage plus de 160 partenaires revendiquant une stratégie gagnant/gagnant, comme le reconnaissait le maire de Lescar, Christian Laine : « Nous avons deux déchetteries sur la ville ; l’une, gérée par un syndicat, qui nous coûte de l’argent. L’autre, gérée par Emmaüs, qui ne nous coûte rien. »
Au-delà de la gestion des déchets, le village Emmaüs Lescar Pau a aussi innové dans d’autres secteurs comme l’éco-construction, avec l’édification de maisons en bois pour les compagnons ou encore, dans le souci de lutter contre le réchauffement climatique, de protéger la biodiversité et de défendre l’agriculture durable, avec la création d’une ferme alternative qui s’étend sur une trentaine d’hectares de terres et de prés, et permet une forte autonomie alimentaire (de 50 % pour les fruits et les légumes à 80 % pour la viande). Près de 200 repas sont pris chaque midi au réfectoire, sans compter le restaurant, et l’épicerie qui valorise les spécialités locales. Depuis peu, un atelier de transformation et de conserves et une boulangerie sont venus renforcer cette stratégie d’autonomie alimentaire.
Le village Emmaüs de Lescar-Pau qui a prospéré sur la folie consumériste tout en promouvant une forme de sobriété heureuse, chère à Pierre Rabhi, est devenu au fil des années un lieu de ressourcement créatif, qui accueille plus d’un millier de chineurs quotidiennement. C’est aussi un lieu futuriste d’échanges et de diversité, de rencontres et de convivialité, qui permet tout à la fois de déposer des déchets à la déchetterie-recyclerie, fouiner au bric-à-brac, se promener dans la ferme alternative, visiter les ateliers et, éventuellement, s’initier aux premiers rudiments de certains métiers, déjeuner au restaurant ou pique-niquer au milieu des animaux de la ferme, découvrir l’architecture originale du village avec comme perspective la magnifique chaîne des Pyrénées, s’offrir une petite crêpe, si l’on a un creux à l’estomac, ou boire une bière au bar, se distraire en écoutant un concert ou se cultiver lors d’une conférence débat sur les abeilles, la biodiversité, l’altermondialisme, la Palestine ou le changement climatique…
SOS médecins de campagne
Actuellement la chaîne parlementaire diffuse un émouvant documentaire : « Derniers jours d’un médecin de campagne ». Le réalisateur, Olivier Ducray, a filmé pendant onze mois un médecin généraliste de 69 ans, Patrick Laine, installé depuis 35 ans dans un bourg de 800 habitants en Haute-Saône. Médecin de famille, passionné par son métier, très investi et dévoué, mais usé, il considère que le savoir-faire, la technique et l’expérience sont importants, mais place avant tout les qualités humaines comme la capacité d’écoute ou l’empathie comme primordiales. « On soigne un être humain, dit-il, les spécialistes soignent un organe ». Depuis plusieurs années, Patrick Laine se cherche un successeur. Début 2016, il a publié sur le Bon Coin une annonce où il propose de céder gracieusement son matériel et sa patientèle. Cette initiative a suscité l’intérêt des médias, mais ne lui a pas permis de trouver un successeur. En fait il lui en faudrait deux !
Le monde rural n’attire guère les médecins. Un tiers des communes sont considérées comme des déserts médicaux et le film permet de découvrir la détresse des patients les plus fragiles. Les généralistes sont de moins en moins nombreux et, dans les dix ans à venir, plus d’un quart d’entre eux partira à la retraite. Le numérus clausus qui ne sert à rien du fait de la libre circulation des médecins en Europe, avec une sélection basée sur les maths et la physique, qui fait que 85 % des étudiants échouent en première année, n’arrangent pas la situation. Quant aux mesures prises pour inciter les généralistes à s’installer dans les déserts médicaux, elles n’ont guère eu d’effet. Alors on évoque comme l’une des solutions la télémédecine, consultation à distance utilisant les techniques de l’information et de la communication, mais tellement à l’opposé de cette médecine si humanisée pratiquée par Patrick Laine, qui déclare dans ce film : « A la poignée de main et au regard, dans 70 % des cas, j’ai le diagnostic. »
2019, année de la modération ?
En décembre 2017, l’assemblée générale de l’ONU adoptait, malgré l’opposition des Etats-Unis et d’Israël, une résolution déclarant 2019 année internationale de la modération. L’objectif des initiateurs étant de faire mieux entendre les voix des modérés par la promotion du dialogue, de la tolérance, de la compréhension et de la coopération plutôt que celles des extrémistes violents. En ces temps, où semblent prévaloir un peu partout sur la planète des positions qui ne font guère dans la nuance, cette résolution apparaît presque comme une provocation. Pour autant, l’année 2019 sera-t-elle plus modérée que 2018 ? Nul ne le sait, même si l’on peut penser qu’au niveau climatique, les bouleversements entamés depuis quelques décennies ne vont pas cesser d’un coup de baguette magique ou qu’en matière de géopolitique le ciel diplomatique n’a guère de chance de se montrer plus clément. Dans son homélie de Noël, le pape François prônait lui aussi une forme de retenue devant cette « insatiable voracité des hommes », qui fait que « quelques-uns se livrent à des banquets tandis que beaucoup d’autres n’ont pas de pain pour vivre ».
Car cette résolution onusienne s’adresse aussi à chacun d’entre nous. Sur les réseaux sociaux, des milliers de modérateurs passent leur temps à nettoyer le web des textos les plus outranciers et haineux écrits par nos contemporains. Et lorsque les autorités décident d’une baisse de la vitesse automobile sur les routes secondaires, cela suscite une levée de boucliers. Plus que jamais, nous avons besoin de circonspection, de sagesse et de pondération, dans ce monde plein d’incertitudes. En cette année 2019 qui commémorera la mort, il y a 400 ans, de l’agronome Olivier de Serres, prenons exemple sur cet honnête homme de la Renaissance, protestant en ces temps de guerres de religion, érudit modernisateur de l’agriculture et homme de tempérance. « La modération est la santé de l’âme », écrivait La Rochefoucauld dans ses Maximes.
Et même leurs clochers se taisent…
Tel est le titre d’un livre publié en 1991 et écrit par Louis Costel, prêtre normand et écrivain régionaliste décédé en 2002, qui s’inquiétait de ce temps qui lui semblait proche, où « les clochers apparaîtraient comme de simples bornes commémoratives ». Dans la paroisse où je vis, dans le sud de l’Aisne, la population d’environ 4 000 habitants est répartie sur 17 villages dont deux bourgs plus importants, où alternaient les messes dominicales. Depuis quelques mois, le diocèse a décidé qu’il n’y aurait plus qu’un seul lieu pour la messe dominicale, à la manière dont l’administration décide de fermer certains services publics. Comme d’autres régions rurales, cette zone est devenue un désert spirituel. D’ailleurs, il y a quelques années, un évêque avait eu ce propos sans nuances : « Ce ne sont pas des terres à rechristianiser mais à christianiser ». Ce contexte ne facilite pas le travail de prêtres venus du Bénin.
Plus généralement, il semble qu’au sein des autorités ecclésiastiques on mette l’accent sur l’évangélisation des villes. A la tête de diocèses, bon nombre d’évêques, souvent issus du monde urbain, méconnaissent parfois les spécificités du monde rural. Ils ont par ailleurs reçu une formation plus orientée sur la spiritualité que sur l’action pastorale. A cela s’ajoute une administration par trop cléricale qui déstabilise à la fois ceux (ou plutôt celles, car il s’agit surtout de femmes) qui sont engagés dans les services ecclésiaux, et ceux se situant en périphérie de l’Eglise et qui ne s’y retrouvent pas vraiment. Pourtant l’Eglise aura de plus en plus besoin de laïcs pour pallier au manque de prêtres ! Si bien que, dans certains diocèses, on peut constater cette forme de repli de l’Eglise sur elle-même, à contre-courant de la parole du pape François qui prône la construction de ponts plutôt que de murs…
Dans la tradition des jacqueries ?
Au début de l’année, quelques experts s’interrogeaient quant aux risques d’un nouveau mai 1968, 50 ans après les fameux événements. Le printemps passé, sans heurts sociaux particuliers à l’exception des cheminots, personne n’a vu venir la crise présente. Crise qui, de jour en jour, voit le spectre des doléances s’élargir considérablement. D’une taxation sur le carburant, on est ainsi passé à une crise de la représentation politique, voire une fronde insurrectionnelle, comme seul le peuple français sait l’exprimer de manière récurrente et parfois violente. Rien à voir toutefois avec mai 1968, crise des trente glorieuses !
Et si cette fronde des gilets jaunes ne se situait pas plutôt dans la tradition des jacqueries, mouvements de révoltes souvent désorganisés, à l’initiative de paysans parfois parmi les plus aisés (les classes moyennes d’aujourd’hui) pour lutter contre l’ordre féodal et ses impôts. Car si le carburant a remplacé les céréales comme incarnation de nos sociétés, quasiment toutes les jacqueries ont eu pour origine une révolte fiscale. De la Grande Jacquerie de 1538, qui enflamma à partir du Beauvaisis une partie du nord de la France, aux Chemises vertes de Dorgères entre les deux guerres, en passant par les Rustauds d’Alsace, les Francs-Museaux du Languedoc, les Pitauds du Poitou, et, déjà, les Bonnets rouges bretons, les Croquants du Quercy, les Va-nu-pieds normands ou les Lustucru du Boulonnais…, tous ces mouvements s’inscrivent dans une longue tradition de mobilisation contre l’impôt et, au-delà, contre la ville et ses élites ; aujourd’hui, avec les gilets jaunes, contre les métropoles, tant la fracturation territoriale est toujours facteur d’inégalités grandissantes, et cette noblesse d’Etat qui ne décrypte la société qu’à partir de ratios financiers.
Notons encore que le point commun de toutes ces jacqueries, ce fut l’échec face au pouvoir en place et souvent au parti de l’ordre ; ce sur quoi semble tabler l’actuel gouvernement. A tort peut-être ? Les prochains jours le diront…
Tragédie passée, souffrances présentes…
Ce 11 novembre 2018, devant l’imposant monument des Fantômes du sculpteur Paul Landowski, qui domine la plaine du Tardenois, une brise glaciale, malgré la clémence de la température, s’est mise à souffler au moment même où débutait la cérémonie, comme pour rappeler la solennité du lieu et du moment, et les nombreuses victimes. Ainsi de 530 000 habitants en 1914, la population du département de l’Aisne passera en 1920 à 352 000 du fait des pertes civiles et militaires et de la grippe espagnole, et ne retrouvera sa population de 1914 qu’en 1975. Pourtant au cours de l’itinérance mémorielle du chef de l’Etat sur ces lignes de front, le présent semblait avoir pris le pas sur le passé : le prix du carburant sur la mémoire.
Plus justement, le présent rattrapait le passé, comme pour nous interpeller dans un même élan : n’oublions pas nos Poilus de la Grande Guerre, mais, en même temps, ne nous oubliez pas nous, sentinelles de la mémoire en plein décrochage social, attachées à nos territoires en déshérence ! Les stigmates de ces terres meurtries et la mélancolie des nombreux lieux de mémoire rappellent au quotidien la tragédie passée pour mieux souligner les souffrances présentes des populations.
Villages détruits hier, villages dépeuplés aujourd’hui, de la Meuse à l’Avesnois en passant par la Thiérache, les Ardennes ou la forêt d’Argonne, un même destin tragique affecte ces territoires arpentés la semaine passée par le président de la République ; territoires industrieux et riches avant la Première Guerre mondiale, puis oubliés par Paris. Pour exemple, l’ancienne prestigieuse route Charlemagne qui relie Paris à Aix-la-Chapelle (la Nationale 2) est toujours en deux voies sur la plus grande partie de son parcours. Ce sentiment d’abandon n’explique toutefois pas et n’excuse pas la surprenante décision des édiles de l’Aisne de fermer pour cause de travaux, deux mois avant ce 11 novembre du Centenaire, la Caverne du Dragon, haut lieu du Chemin des Dames !
L’alimentation du futur
Le SIAL (Salon International de l’alimentation) qui s’est tenu la semaine dernière à Villepinte est une impressionnante vitrine de l’alimentation mondiale. Sur une surface de 27 hectares (l’équivalent d’une centaine de supermarchés), les 160 000 visiteurs ont pu découvrir 400 000 produits proposés par 7 200 exposants venus de 105 pays et bien des innovations qui préfigurent ce que pourrait notre alimentation demain. Des jus de fruits pétillants au café vendu en canette, des biscuits en forme de petites cuillères aux fruits lyophilisés sans sucre en bâtonnets, des chewing-gums biodégradables aux moules à croquer, figurent parmi une sélection de 800 nouveautés qui concernent surtout le végétal (l’influence de la mode vegan, sans doute !)
Car ce salon veut surfer sur les grandes tendances actuelles : le vrai, le goût et le sens avec des demandes très appuyées concernant la transparence, le bien-être animal ou le manger sain. Pour l’occasion, trois enquêtes menées dans une dizaine de pays (Europe, Etats-Unis, Russie, Moyen Orient, Chine…) attestent de ces évolutions avec, pour la France, une amplification des résultats. Ainsi 63 % des Français souhaitent manger sain, 91 % veulent plus de transparence sur les produits alimentaires, et 78 % se disent prêts à payer plus cher pour valoriser le travail des agriculteurs. L’enquête souligne également l’intérêt de huit Français sur dix pour les produits locaux.
Et pourtant une rapide visite du salon donne une toute autre impression : celle d’une extraordinaire vitrine de la mondialisation alimentaire illustrant une formidable palette de goûts, d’aliments, de couleurs, venus des cinq continents, avec des produits alimentaires très transformés, un packaging sophistiqué qui, certes, se veut biodégradable, un marketing (de circonstance ?) très élaboré… Pas vraiment ce dont témoignent les enquêtes. Reconnaissons toutefois que les comportements des consommateurs ne sont pas toujours en adéquation avec leurs aspirations !
Un monde agricole désarticulé
Il y a 40 ans, Jacques Poly, alors directeur scientifique à l’INRA, remettait son rapport « Pour une agriculture plus économe et plus autonome », annonciateur des débats qui allaient suivre autour des liens entre agriculture, environnement et recherche. A l’époque, il y avait plus d’un million d’agriculteurs et Jacques Poly plaidait pour le maintien d’une « population agricole active à un niveau raisonnable ». Quatre décennies plus tard, on recense 437 000 exploitations et les exploitants ne représentent plus que 1,8 % de la population active française, comme le soulignait Bertrand Hervieu, le président de l’Académie d’agriculture lors de la séance de rentrée de la compagnie. Ce chiffre est le résultat d’une longue tendance à la baisse qui voit deux exploitations disparaître lorsqu’il ne s’en créé qu’une. En quelques décennies, les agriculteurs encore majoritaires dans la population au début du XXème siècle sont devenus une minorité. Une situation unique ! D’où cette prise de conscience douloureuse pour les intéressés, d’autant plus mal ressentie aujourd’hui, comme le précise Bertrand Hervieu, que « moins il y a d’exploitants et d’exploitations, plus le monde agricole se désarticule ». Car si l’agriculture familiale, souvent en difficulté et à contre-courant des rythmes de la société, demeure majoritaire, l’agriculture sociétaire concerne désormais plus du tiers des exploitations et les deux-tiers de la superficie. Par ailleurs émergent à la fois un modèle d’agriculture de firme qui obéit à des logiques financières transnationales, sous-traitant souvent l’ensemble des travaux agricoles, et d’autres formes d’agricultures alternatives souvent menées par des acteurs non issus du monde agricole. La situation au niveau mondial est tout aussi éclatée ; ce qui ne facilite guère la définition de politiques agricoles. Il faudra apprendre à gérer cette diversité et bien au-delà des frontières de l’Europe…
Etonnants végétaux!
On ressort encore plus émerveillé par les choses de la nature, après la lecture de L’Intelligence des plantes, de Stefano Mancuso, fondateur de la neurobiologie végétale. Pourtant depuis Aristote, qui plaçait le végétal au plus bas niveau de la pyramide des vivants, car il le jugeait sans âme, l’homme a toujours méprisé les plantes. Seul le génial Darwin avait constaté qu’elles manifestent « un haut degré d’évolution étonnamment avancé » et considérait que si les végétaux n’avaient pas su s’adapter, ils ne représenteraient pas aujourd’hui 99,5 % de la biomasse. Et il fallait aux plantes, qui sont immobiles, faire preuve de beaucoup plus d’intelligence que les animaux (qui eux peuvent se déplacer) pour s’adapter. Qui plus est les plantes n’ont ni cerveau, ni poumons, ni foie, ni estomac mais elles parviennent à assurer toutes les fonctions que ces organes remplissent chez les animaux. Stefano Mancuso nous décrit des plantes qui développent une sensorialité très développée, avec une quinzaine de sens de plus que nous. Des plantes qui respirent, perçoivent et émettent des sons, communiquent entre elles, développent une intelligence de réseau, inventant bien avant l’homme une forme d’internet vert. On a donc encore beaucoup à apprendre d’elles, comme mieux comprendre les mécanismes de la photosynthèse, ou encore cette capacité des légumineuses à fixer l’azote de l’air en le transformant en azote ammoniacal assimilable par les plantes, qui, généralisée à l’ensemble des plantes agricoles, permettrait d’augmenter la productivité en respectant la nature, et ainsi de résoudre les problèmes alimentaires et énergétiques de la planète. Un enjeu essentiel pour l’auteur, qui déplore que seuls cinq laboratoires au monde s’y consacrent. Il nous faut aussi respecter ce monde végétal, nous demande Stefano Mancuso : « leur destruction indiscriminée est moralement indéfendable ». Car sans végétaux, pas d’humains sur Terre !
L’intelligence des plantes de Stefano Mancuso et Alessandra Viola – Albin Michel – 240 pages – 18 €.
Le blues des maires
Il est loin le temps où l’on était quasiment maire à vie. Indéracinables, certains faisaient cinq, six mandats, voire plus. Ce n’est désormais plus vraiment le cas. Au cours de cette dernière mandature, l’on constate deux fois plus de défections en cours de mandat, que lors de la précédente. Et dans deux ans, c’est peut-être la moitié des maires actuels qui ne repartira pas pour un nouveau mandat, contre environ un tiers habituellement. Car les maires ont le blues. Ils se sentent délaissés, abandonnés, regardés de haut par un pouvoir jupitérien qui semble les négliger. C’est particulièrement vrai dans les petites communes où le maire est souvent l’homme à tout faire, se coltinant parfois des tâches ingrates. Je me souviens de mon père, maire d’une petite commune, balayant le riz sur les marches de la mairie après un mariage. Un véritable sacerdoce !, sans doute moins bien accepté aujourd’hui. Et puis le contexte a changé. Les dotations de l’Etat diminuent, alors que les charges augmentent. La tâche devient de plus en plus lourde et les réglementations de plus en plus complexes. Si dans les villes, le maire dispose d’un staff important, le premier magistrat d’une petite commune est souvent seul avec un secrétaire de mairie souvent à temps partiel. Par ailleurs les maires ont de plus en plus de responsabilités et de moins en moins de pouvoirs, depuis que la loi NOTRe a transféré certaines compétences aux communautés de communes ou d’agglomération. S’ils demeurent, du fait de leur proximité avec la population, les élus les plus appréciés, selon le baromètre du Cevipof (Centre d’études sur la vie politique française) publié en janvier dernier, ils voient leur côte de confiance passée de 64 % à 55 % en un an. Malgré tout, entre un maire et ses concitoyens, c’est souvent une histoire de passion. D’ailleurs François Hollande avait, un jour, fort justement fait remarquer que l’anagramme du mot « maire » était « aimer ».
Le ministère de l’impossible
Robert Poujade, premier ministre de l’environnement au début des années 1970 avait relaté son expérience dans un livre titré Le ministère de l’impossible. Tout est dit dans ce titre. Depuis plus de 25 ministres et secrétaires d’Etat, des politiques plus ou moins expérimentés, des militants plus ou moins sincères et des techniciens plus ou moins pointus, lui ont succédé avec plus ou moins de bonheur. Plutôt moins, car beaucoup ont témoigné de leurs difficultés. Sous Mitterrand, Huguette Bouchardeau reconnaissait que son avis ne pesait pas lourd, confronté aux discours d’un industriel, d’un agriculteur ou d’un économiste. Sous Chirac, Corinne Lepage avait titré son livre : On ne peut rien faire, Madame la ministre !. Sous Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet avait dû gérer les remises en cause de son président après le Grenelle de l’environnement. Sous Hollande, face à un budget en baisse et des arbitrages perdus, Delphine Batho avait jeté l’éponge. Nicolas Hulot, qui avait à différentes reprises refusé le poste, savait toute la difficulté de la tâche. Il écrivait en 2005 dans Graines de possibles : « Tant qu’on ne lui donne pas une lisibilité politique et écologique réelle à même de se diffuser dans un gouvernement cohérent, un ministre de l’Environnement est condamné à prendre des coups et à mécontenter les écologistes comme les capitalistes. » Son titre de ministre d’Etat n’aura guère changé la donne, car la question environnementale, malgré l’urgence climatique, se situe sur le long terme, et elle est subversive, alors que l’action politique doit fournir des résultats rapides et gérer des compromis. Là est le dilemme. En 1971, on disait que le critère de réussite du ministère de l’Environnement serait sa vocation à disparaître quand tout aurait été résolu. Ce n’est malheureusement pas le cas. Loin s’en faut ! Alors, à défaut d’un ministère de l’impossible, ne faudrait-il pas mieux privilégier dans chacun des ministères, dans chacune des administrations, les enjeux du long terme, au premier rang desquels la question environnementale. Là serait la véritable révolution !
D’un tour de la France à l’autre…
En 1877 était publié le Tour de la France par deux enfants d’Augustine Fouilliée, manuel scolaire avec ses cartes Vidal-Lablache, ses héros français et sa morale républicaine : devoir et patrie, mais aussi travail et épargne. Le livre fut un best-seller : plus de 7 millions d’exemplaires vendus en moins de 30 ans ! C’est sur les traces des frères Volden que Pierre et Philibert (1), deux jeunes adultes, nés en 1991, ont emprunté sensiblement le même parcours, non plus à pied ou en carriole, mais en vieille 204 de 40 ans d’âge, à vélo ou en covoiturage via BlaBlaCar. La France de 1877 était une France agricole et artisanale, on y évoque brièvement Le Creusot et ses fonderies et la manufacture de Saint Etienne. La France de Pierre Adrian et Philibert Humm, tous deux journalistes, est post-industrielle. On y croise des viticulteurs bios et des électeurs qui vont voter sans conviction, des centre villes qui perdent leurs commerces et des entrées de villes hideuses, la Bourgogne nostalgique d’Henri Vincenot et le Marseille de Plus belle la vie, les descendants des résistants de l’Ile de Sein et les ancêtres zadistes de Plogoff, un ancien gardien de phare et des nouveaux métiers qui ne se racontent pas…
En 1877, Julien Volden s’exclamait dans une envolée cocardière: « N’aimez-vous pas la France ? Oh moi, de tout mon cœur j’aime la France ». Nos deux journalistes disent partager ce sentiment mais, plus nuancé, d’un amour imparfait, inégale, inachevé. « Nous avons traversé une France découpée en deux mondes : celui des jeunes, celui des vieux », notent les deux compères, avant d’ajouter : « La France n’allait pas fort, c’est vrai. Mais elle n’allait pas trop mal non plus. Pour son âge, je la trouvais même plutôt bien conservée. » Comme pour nous rassurer que leur voyage n’était pas un dernier inventaire avant liquidation !
- Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui – Pierre Adrian et Philibert Humm –Equateurs Littérature – 20 €
L’air du temps
Après l’épisode victorieux de la Coupe du Monde, sans doute les responsables des chaînes d’information s’inquiétaient-ils de ce qu’ils allaient bien pouvoir se mettre sous la dent… Et puis survient, comme inespérée, cette affaire Benalla. Tous les ingrédients sont réunis pour nous tenir en haleine quelques semaines encore (voire plus) avec ce feuilleton à rebondissements qui mêle dysfonctionnements au plus haut niveau de l’Etat (l’Elysée) et psychologie des hommes à travers le rapport au pouvoir. Cela fait penser à cet épisode du Rainbow Warrior, qui nous avait mobilisés au creux de l’été 1985, ébranlant le sommet de l’Etat. Sauf que cette dernière affaire était bien plus grave, avec mort d’homme et répercussions diplomatiques fâcheuses, – le coulage du bateau de Greenpeace s’étant déroulé à Auckland en Nouvelle-Zélande -. Autre différence, même si c’est déjà Le Monde qui avait sorti l’affaire, le contexte médiatique est aujourd’hui bien différent, avec l’omniprésence des chaînes d’information continue. Et puis les différentes oppositions politiques trouvent dans cette affaire inespérée un bon moyen de reprendre pied.
Sans doute s’agit-il d’une affaire d’Etat par les dysfonctionnements qu’il met en évidence, mais, en même temps, c’est l’histoire d’un type qui a dérapé, qui a pris la grosse tête, dans une société de l’esbroufe qui fait prospérer ce genre de comportement. L’adresse de l’Elysée sur une carte de visite nous en met plein la vue et s’impose même au sein des plus hautes élites administratives comme le plus précieux sauf-conduit. Le mode de gouvernance jupitérien n’en est-il pas un dérivé ? D’ailleurs les deux précédents présidents de la République, qui avaient (volontairement ou involontairement) décrispé (ou décrédibilisé ?) la fonction présidentielle, Nicolas Sarkozy jouant le « bad boy » et François Hollande « le président normal », ont échoué. Au moment où la Constitution de la Cinquième République va fêter ses 60 ans, ce rapport crispé voir obséquieux au pouvoir perdure. Au fond, nous aimons cela et chérissons cette forme de monarchie républicaine !
La fronde des automobilistes
Désormais la limitation à 80 km/h s’applique sur les routes secondaires. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, c’est la décision gouvernementale la plus contestée : 70 % des Français y sont fermement opposés. Il est vrai qu’à chaque nouvelle mesure de ce type, du passage de 100 à 90 km/h en 1974 à la multiplication des radars fixes et mobiles, en passant par l’obligation du port de la ceinture de sécurité et la baisse du seuil d’alcoolémie, la fronde est récurrente, avant que ces mesures ne soient finalement acceptées.
Cette fronde s’explique par le fait que la voiture reste ancrée dans nos vies. Au-delà de sa fonction mobilité, et malgré les bouchons, la pollution, les coûts, le stress, elle demeure symbole de liberté, d’autonomie, d’émancipation, signe de réussite sociale et d’affirmation de soi mais aussi volonté de puissance à travers le plaisir de la vitesse, cause d’un tiers des accidents.
Ces dernières semaines, la presse a mis en exergue la grogne des campagnes contre une décision des élites urbaines qui méconnaissent les contraintes des ruraux. La cause de la ruralité mérite meilleur argument. Certes à la campagne, la voiture est incontournable, mais les ruraux paient un lourd tribut car les routes, parfois jalonnées de croix et de silhouettes noires, y sont plus dangereuses. Entre 2012 et 2016, 56 % de la mortalité routière s’est produite sur des routes à double sens, sans séparateur central et hors agglomération. Mais voilà, dans l’inconscient collectif, un mort sur la route, c’est un drame, 3 600, c’est une statistique…
Quant à l’argument évoqué par certains lobbyistes à propos du « temps de vie sociale en moins », il frise le grotesque : une minute et demie de perdue sur un trajet de 40 kilomètres ! Paradoxalement, en une époque où nous disposons de beaucoup plus de temps libre que les générations qui nous ont précédées, nous avons l’impression d’en avoir moins. La voiture impose aussi un autre rapport au temps !
Atmosphères électriques !
Cela n’en finit pas : ce climat électrique avec ses pluies torrentielles et ses inondations ravageuses, ces orages d’une rare violence et cette grêle qui détruit cultures, vignes et habitations. Certes il n’est pas anormal d’avoir des orages en mai ou juin, mais, aussi loin que l’on remonte dans le temps, c’est plutôt rare. Dans les dictionnaires météorologiques de nos campagnes, on ne trouve que peu de dictons concernant les orages en cette période. Le premier date du 24 juin : « Orages avant la Saint Jean ne sont pas dangereux, après ils sont violents ». Ce que dément vigoureusement la situation actuelle ! La violence des orages inquiète : 182 796 impacts de foudre rien qu’en mai, soit deux fois plus que le précédent record de mai 2009. Et cela se poursuit avec la même intensité en juin. De l’air frais en altitude, des masses d’air chaud dans les basses couches venues d’Afrique du Nord, le tout associé à un fort taux d’humidité, expliquent le phénomène qui voit, paradoxalement, Oslo et Stockholm battre des records de chaleur, tandis qu’à Ostende, le temps se montre plus clément qu’à Biarritz !
L’atmosphère était tout aussi électrique le week-end dernier à Charlevoix dans la Belle Province du Canada, pour le G7, qui réunissait les sept pays les plus riches de la planète. Ce jour-là, la tornade s’appelle Trump. Le président américain, aussi imprévisible et insaisissable que le dérèglement climatique, dans sa posture de seul contre tous, semble sceller en vue d’éventuels bénéfices électoraux futurs une rupture entre les Etats-Unis et leurs traditionnels alliés, au plus grand bénéfice de la Chine. L’ordre économique et commercial du monde est en train de changer avec cette fin du multilatéralisme dont les Etats-Unis furent le principal architecte. Tout comme semble s’imposer ce désordre climatique dont le président américain dénie, au mépris des évidences, toute responsabilité humaine. Alors dans ce monde qui s’annonce si imprévisible, de grosses tempêtes sont à prévoir, qu’elles soient climatiques, géopolitiques ou diplomatiques !
Désir d’herbe
Juin est le mois des longs jours, de la rose mais aussi de la fenaison. Dans les temps anciens, cette activité éprouvante mobilisait toute la maisonnée. Même mécanisée, elle est sujette aux aléas climatiques. Un orage imprévu et c’est parfois la perte d’une récolte. Mais au-delà de la production fourragère, l’herbe est aussi source d’émotions depuis l’Antiquité. L’historien des sensibilités, Alain Corbin, dans son livre La Fraîcheur de l’herbe (1) nous convie à un voyage littéraire sur ce thème : de Rousseau, qui voit dans un brin d’herbe la preuve sensible de la présence de Dieu, à Victor Hugo, qui évoque cette « housse de velours vert », en passant par Rimbaud qui la qualifie de « clavecin des prés » et Giono qui exalte « la ronde de l’éternel retour de la vie, de la faux et de regain ».
« L’herbe est porteuse d’origine, elle semble garder la saveur des premiers temps du monde », écrit Alain Corbin. L’herbe invite au repos et à la contemplation, à la rêverie et à la somnolence, à la sensualité et au flirt. Un temps que les moins de 50 ans connaissent moins bien car le rapport à l’herbe a changé, lorsque les prairies naturelles n’ont pu suffire aux besoins de l’élevage et qu’apparurent les prairies artificielles.
Aujourd’hui, où la hiérarchie entre herbes folles, sages ou mauvaises s’estompe aux yeux des citadins, le brin d’herbe s’invite sur les toits d’immeubles et les trottoirs que l’on a cessé de désherber, tandis que le gazon uniforme de brins disciplinés dans les parcs publics et les terrains de golf fait penser à une bétonisation champêtre. Ce qui témoigne à la fois de cette artificialisation de la nature, mais aussi de cette nostalgie des sentiments liés à l’herbe qui résiste à travers ces émotions familières que sont la roulade de l’enfant dans le pré, l’odeur enivrante du foin, la sensualité et l’ondulation des hautes herbes, le bruissement des brins et des insectes, le diapré des fleurs sauvages…
- La Fraîcheur de l’herbe, histoire d’une gamme d’émotions de l’Antiquité à nos jours – Fayard « Histoire » – 244 pages – mars 2018 – 19 €.
Scandale à la Commission
La Commission européenne n’en est pas à son premier scandale : de la gestion de l’épisode de la vache folle au parachutage de l’ancien président José Manuel Barroso comme lobbyiste au sein de la banque Goldman Sachs, en passant par des malversations, qui avaient obligé en 1999 la Commission présidée par Jacques Santer (un Luxembourgeois) à démissionner collectivement. Le nouveau scandale met en cause l’actuel Président, luxembourgeois lui aussi, Jean-Claude Juncker, qui a imposé son directeur de cabinet, l’allemand Martin Selmayr, comme Secrétaire général de la Commission, au mépris des procédures et de la tradition qui veut qu’un Secrétaire général ait l’expérience de la direction d’un service. Une forme de népotisme que les porte-paroles de la Commission ont bien du mal à justifier ! Numéro deux de l’institution, le Secrétaire général est à la tête d’une administration de 30 000 fonctionnaires. Rouage essentiel des institutions européennes, car à la fois force de propositions et chargée de la mise en place des politiques européennes, la Commission est aussi la gardienne des traités et, à ce titre, joue un rôle de gendarme auprès des gouvernements de l’Union, si ces derniers ne respectent pas les règles communautaires. Cette nomination a suscité la fronde des parlementaires européens, tous partis confondus. Mais les élus ne sont pas allés jusqu’à censurer la Commission, afin d’éviter à l’Europe une crise de plus.
A terme, les dégâts risquent d’être considérables. Dès lors, comment faire la leçon aux gouvernements hongrois et polonais si peu soucieux de démocratie ? Cet épisode pourrait faire les choux gras des souverainistes lors du prochain scrutin européen. On semble oublier un peu vite que l’Europe s’est construite sur les ruines de la guerre à partir d’un système de valeurs, héritier des traditions grecques, judéo-chrétiennes et du Siècle des Lumières, et qui, aujourd’hui, pourrait apparaître comme antidote aux « égarements » de l’administration Trump ! A condition toutefois de respecter soi-même ces valeurs…
Mieux vaut en rire !
En 2015, un automobiliste se fait prendre par un radar sur la nationale 7. Rien de bien original, cela arrive à beaucoup d’entre nous ! Mais là où l’affaire se corse, c’est que notre homme, furieux par sa mésaventure, brandit un doigt d’honneur, que le radar photographie. La suite, c’est une convocation au tribunal pour outrage à personne chargée d’une mission de service public. Pour cela il risque deux à quatre mois de prison ferme. D’autant que le conducteur, qui a déjà été condamné pour d’autres faits répréhensibles, se défend bien maladroitement. Plutôt que d’assumer son geste, il prétexte que ce malheureux doigt d’honneur s’adressait à sa compagne. Pas très fair-play !, le bonhomme. Malgré tout notre conducteur obtient la relaxe. Le bon sens semblant alors l’emporter !
Naviguant sur Internet pour voir s’il existait d’autres cas similaires, je découvre alors un article du Courrier Picard de 2012, qui évoque un radar placé sur l’autoroute du Nord, affichant sur un écran un inélégant « Fuck you !, chauffard » à tous les conducteurs flashés. L’histoire ne dit pas si ces derniers ont porté plainte. Paradoxalement, c’est finalement la machine qui a porté plainte contre le conducteur et non les conducteurs contre cette insulte. Entre le doigt d’honneur et ce Fuck you, les rôles semblent inversés entre l’homme et la machine.
Prenons conscience que, derrière chaque machine, dans nos sociétés désormais si contrôlées, peut se cacher un homme en mission de service public. Il nous arrive tous d’avoir des propos parfois inconvenants, voire des gestes malheureux, lorsque la tondeuse à gazon fait des siennes ou quand notre voiture nous laisse en rade en rase campagne, – après tout cela ne fait de mal à personne !-, mais prenons garde avec ce futur qu’on nous annonce heureusement robotisé, qu’une caméra ne se cache derrière la tondeuse ou la voiture, justifiant ainsi le dépôt d’une plainte ! Ainsi va le monde ! Orwell, réveille-toi, ils sont devenus fous !
Le mai 1968 des agriculteurs
Après avoir traité dans un précédent billet de l’impact de mai 1968 sur la condition des salariés agricoles, voyons comment le monde agricole a vécu ces événements. Mai 1968 se situe en plein cœur des grandes mutations, conséquence des lois d’orientation Debré Pisani de 1960-1962. Depuis 15 ans, deux millions d’actifs ont quitté l’agriculture. Des difficultés surgissent : crise laitière, intégration des firmes dans le porc et l’aviculture, crise de l’artichaut… En Loire-Atlantique, la FDSEA s’est rapprochée depuis le début des années 1960 des syndicats ouvriers, notamment via les mouvements d’action catholique. Si bien que le 24 mai 1968, 2 000 paysans investissent le centre-ville de Nantes et mêlent leur colère à celle des ouvriers et des étudiants, rebaptisant la Place Royale en Place du Peuple. Une exception, car, majoritairement les agriculteurs sont plutôt gaullistes ; ce qui n’était pas le cas dans les débuts de la Vème République. Cette contestation en Bretagne, sous la houlette notamment de Bernard Lambert, ancien de la JAC, qui fut député MRP avant de se rapprocher du PSU, et auteur d’un livre Les paysans dans la lutte des classes, va avoir des effets dans l’organisation syndicale, notamment au sein du CNJA, où deux tendances s’affrontent. En octobre 1968, lors de son congrès national, Bernard Thareau, représentant l’aile gauche, manque de 2 voix (sur 57 votants) la présidence du CNJA. Jusque dans les années 1970, les rapports de force seront équilibrés notamment à la FRSEAO ou au CNJA entre les tendances de droite et de gauche. En 1970, Bernard Lambert est exclu à la tête de la Fédération de l’Ouest. Entre-temps Michel Debatisse devenu président de la FNSEA décide de l’exclusion des leaders de l’aile gauche, contre l’avis de Raymond Lacombe et des représentants des céréaliers de l’époque qui souhaitent maintenir un certain pluralisme. Cette exclusion entraînera la création de nouvelles organisations comme les Paysans Travailleurs, ancêtres de l’actuelle Confédération paysanne.
Le mai 1968 des ouvriers agricoles
Quand on imagine Mai 1968, – et les récentes émissions de télévision nous confortent dans cette vision -, on revoit les étudiants sur les barricades du Quartier Latin, les grandes manifestations de cheminots, de métallurgistes ou d’ouvriers de Renault… Parmi ces manifestants, il y avait sans doute quelques salariés de l’agriculture, mais très peu. Et pourtant, comme le note Philippe Vasseur un journaliste proche de la CFDT dans le livre Mai 68, victoire des salariés agricoles : « S’il y a eu une catégorie sociale qui a le plus bénéficié de ce grand mouvement populaire, c’est sûrement les salariés agricoles ».
Il est vrai qu’à l’époque les salaires sont bas. Il existe un Smag (Salaire minimum agricole garanti) mais dont le montant est inférieur au Smig (qui va devenir le Smic). Pour les représentants des syndicats ouvriers l’un des enjeux de la négociation sociale qui s’ouvre au ministère de l’Agriculture, est la suppression du Smag et la reconnaissance pour les salariés de l’agriculture des mêmes droits que les salariés des autres secteurs. L’ouverture d’esprit du négociateur de la FNSEA, Maurice Duclaux, « patron visionnaire », aux yeux de certains syndicalistes, l’habileté du ministre, Edgar Faure, qui sut mettre une ambiance cordiale, tutoyant tout le monde, alors qu’à quelques centaines de mètres de là le climat était insurrectionnel, et la gravité du contexte ont permis la signature d’un accord le 6 juin 1968. Accord, qui, outre la fin des discriminations, prévoyait une augmentation des salaires de 17 %, le paiement des jours de grève, des cotisations sociales calculées sur le salaire réel et non au forfait, la réduction de la durée du travail… Gérard de Caffarelli et Michel Debatisse, respectivement président et secrétaire général de la FNSEA, durent aller s’expliquer dans les départements, non sans remous, parfois. D’ailleurs les accords de Varenne ont été l’une des raisons de la dissidence de la FDSEA de l’Indre-et-Loire et de la création en 1969 de la FFA (Fédération Française de l’Agriculture), mouvement situé très à droite de la FNSEA.
Le cataclysme italien
L’accord de gouvernement entre sociaux-démocrates et conservateurs allemands n’aura été qu’un court répit dans un ciel européen ombragé, car, quelques heures plus tard, c’est un vrai cataclysme qui venait d’Italie avec l’élection d’un Parlement désormais dominé par des partis anti européens, comme la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles. Sans doute s’agit-il d’un événement encore plus considérable que le Brexit, car il concerne l’un des six pays fondateurs de l’Europe et l’un des peuples longtemps considéré parmi les plus europhiles ! Certes la péninsule ne va pas quitter l’Union européenne, mais elle peut entraver son action. Et la plupart des autres Etats européens voient eux aussi les mouvements populistes prendre de l’ampleur. Si la France semble aujourd’hui l’exception, c’est essentiellement dû à sa Constitution et à ses scrutins majoritaires à deux tours. La situation peut être bien différente l’an prochain avec un scrutin à la proportionnelle pour les élections européennes.
Comme lors des dernières élections en Allemagne, la question des migrants s’est imposée comme le thème dominant durant cette campagne italienne. Depuis très longtemps terre d’émigration la péninsule était devenue terre d’immigration dans les années 1990 avec l’arrivée massive de réfugiés venant d’Albanie, puis de l’ex-Yougoslavie. Longtemps acquise au principe du droit d’accueil, l’opinion publique a basculé ces derniers mois. Depuis la fermeture de la route des Balkans et l’accord entre l’Union européenne et Ankara, l’Italie est désormais pour la plupart des migrants la seule porte d’accès à l’Europe. Elle a le sentiment d’être seule pour affronter la crise, devant l’indifférence de ses partenaires et le manque de courage et de vision de l’Europe. Or seule l’Europe en renouant avec ses traditions humanistes (ce qui n’est guère facile en ces temps !) peut être à même d’apporter une réponse collective à ce défi qui va perdurer, tout en ne négligeant les autres raisons qui amènent des pans importants de la population à voter pour des partis souverainistes.
Et surgit Martin Fourcade…
Nos vieilles démocraties semblent bien mal en point. Pêle-mêle dans l’actualité de ces dernières semaines, retenons l’israélien Netanyahu empêtré dans des affaires de corruption, les troubles délirants de Trump tels que les décrit son biographe, le retour possible en Italie des acolytes de Berlusconi (lui-même inéligible), sans oublier dans l’Hexagone ce secrétaire d’Etat qui affirme qu’il n’y a que 50 SDF dormant dans les rues de Paris, les déboires familiaux des Le Pen, et les soucis de Mélenchon dans ses comptes de campagne… Et puis, bien sûr ce dérapage (contrôlé ou non ?) du président des Républicains, hallucinants propos mêlant bêtises féroces et mensonges poisseux, et allant jusqu’à qualifier de dictature notre démocratie, qui n’est certes pas parfaite, mais tout de même ! On peut avoir le plus imposant cursus universitaire de l’élite française (normalien, agrégation d’histoire, énarque) et s’afficher comme un cynique mu par la seule appétence du pouvoir… Et que dire de la vacuité des propos, qui n’a d’égale que le mépris affiché à la République, de sa garde rapprochée venue s’expliquer sur les plateaux de télévision… Ce n’est pas ainsi que l’on va faire baisser le taux d’abstention lors des prochains scrutins. Cela rappelle la férocité des années de la fin de la Troisième République. L’on pensait avoir progressé depuis. Reconnaissons qu’un Pierre Mendès France ou un Philippe Séguin, un Michel Debré ou un Jean-Pierre Chevènement, cela avait une tout autre tenue. « On peut se rapprocher chaque jour davantage de la perfection démocratique, mais on ne l’atteindra jamais », écrivait Marc Sangnier en 1935. On espérait toujours faire mieux. Constatons aujourd’hui la régression.
Heureusement il nous reste pour nous consoler l’élégance d’un Roger Federer, redevenu à 36 ans le numéro un mondial du tennis, et puis les performances en or de Martin Fourcade et des biathlètes français pour nous faire rêver, même parfois dans la difficulté. Exemples de sportivité dont devraient s’inspirer certains de nos hommes politiques !
Tombe la neige…
A chaque épisode neigeux, exceptionnel ou pas, c’est toujours le même scénario : routes bloquées, embouteillages monstres, automobilistes furieux confinés dans des gymnases… Les mêmes d’ailleurs qui se lamentent de l’impréparation des pouvoirs publics se morfondent quand il manque de neige dans les stations de sports d’hiver. Qu’il neige en février, cela n’a rien d’anormal, même dans un pays au climat tempéré ! Que la neige, symbole de pureté, de quiétude et d’innocence, soit devenue un enfer, soit synonyme de captivité et d’enfermement, en dit long sur l’état de nos sociétés. Il n’y a plus guère que le regard joyeux des enfants pour s’émerveiller du spectacle des éclats de cristal, des paysages ouatés et des sons feutrés.
En fait la neige témoigne de l’incapacité des hommes et de la fragilité de nos sociétés devant des événements naturels, comme dans le film Le jour d’après où dans New-York, pris dans la neige et la glace, quelques survivants tentent de survivre dans la bibliothèque de la ville. On s’amuse à se faire peur dans nos sociétés urbaines et artificialisées, aux bureaux surchauffés l’hiver (ce n’est pas le cas à La France Agricole !) et climatisés l’été, alors que dans nos sociétés rurales, qui disposent de beaucoup moins de moyens que la ville, on accepte plus facilement les contraintes des saisons. Et pourtant, longtemps dans les campagnes, l’on a redouté l’épreuve de l’hiver, cette « dictature du milieu physique », pour reprendre l’expression de Fernand Braudel, car elle imposait ses rythmes et faisait beaucoup de morts. Mais en même temps, il y avait cette croyance que le froid et la neige purifient la terre et fertilisent les sols.
Dimanche, la neige a fondu, sans laisser de traces. Ephémère mystère qui nous a permis de regarder le monde différemment, masquant nos impuretés, nos détritus et la gadoue. La neige a disparu comme notre part d’innocence perdue.
Agriculteurs et médias
Participant récemment à une assemblée générale d’un syndicat agricole sur le thème « médias et agriculture », j’ai pu constater le gap qui sépare le regard des agriculteurs sur la presse et le regard de la presse généraliste sur l’agriculture. C’était juste après l’émission Cash Investigation qui avait mis en cause les problèmes sanitaires et le manque de transparence de Lactalis et les dérives « capitalistes » d’un groupe coopératif Sodiaal. Certains de mes interlocuteurs trouvaient inacceptables ce type d’émission, alors que le second exemple allait dans le sens des éleveurs. Loin de moi, l’idée de défendre le traitement de l’agriculture dans la presse généraliste, je suis le premier à en dénoncer les dérives mais force est de constater que souvent, dans les cénacles agricoles, la moindre critique apparaît comme un crime de lèse-majesté et vous classe comme un adversaire. Ce n’est pas nouveau. En 1969, François-Henri de Virieu avait été hué lors d’un congrès de la FNSEA, au lendemain d’une émission de télévision, mettant en cause le coût de l’agriculture pour la collectivité !
Beaucoup dans le monde agricole pensent que le journaliste doit être leur porte-parole mais le considère souvent comme quelqu’un qui va les piéger. Or la plupart des journalistes, à défaut d’être objectifs, sont plutôt honnêtes. D’où cette incompréhension ! Récemment au bout de deux heures d’entretien avec un éleveur et une bonne quinzaine de pages de notes, ce dernier pensait que j’allais tout reproduire in extenso. En fait je n’avais guère que deux feuillets pour faire la synthèse de notre entretien. Chaque profession a ses contraintes. Et il est vrai qu’on ne se retrouve que rarement dans un article qui vous est consacré. Et pour rassurer mes amis agriculteurs, je puis leur dire que je ne me retrouvais pas vraiment mon propos dans l’article de L’Agriculteur de l’Aisne consacré à mon intervention, mais je le savais par avance, et c’est tout à fait normal ! C’est le regard de l’autre qui importe. Et c’est ce qui fait la différence entre information et communication…
Souvenirs, souvenirs…
Janvier est le mois des soldes et des augmentations de tarifs, des vœux et des bonnes résolutions qui, souvent, ne durent pas. C’est aussi le début d’une année où, à défaut de déchiffrer le futur, l’on ressent le besoin d’explorer notre mémoire collective, en jalonnant ces douze mois de commémorations en tous genres. Outre la fin de la Première guerre mondiale, qui va clôturer quatre intenses années de rétrospectives, 2018 fêtera les premières représentations de L’Avare de Molière et la publication des Fables de La Fontaine, il y a 350 ans, ainsi que la mort de Debussy, il y a un siècle. On commémorera également la naissance de Chateaubriand, né il y a 250 ans, ainsi que celles d’Edmond Rostand et de Paul Claudel, tous deux nés il y a 150 ans, l’année où était fondée la prestigieuse Ecole Pratique des Hautes Etudes. Plus près de nous, au moment des Jeux Olympiques d’Hiver de Séoul, on aura une pensée pour ceux de Grenoble, en 1968. De même que, lors de la prochaine Coupe du Monde de football, les supporters français espéreront le même dénouement qu’en 1998. Côté histoire politique, entre les soixante ans de la Constitution gaullienne de 1958 et les cinquante ans de Mai 1968, lequel de ces deux événements demeure le plus marquant en 2018 ? 1968, c’est aussi la première greffe du cœur en Europe, mais aussi la sortie en salles de Baisers Volés de François Truffaut et la publication de Belle du Seigneur d’Albert Cohen. Dix ans plus tard, disparaîtront deux stars de la chanson, Claude François et Jacques Brel…
Dans ces rétrospectives très franco-françaises sans doute aura-t-on une pensée pour ces icônes internationales que sont Nelson Mandela né en 1918, Gandhi mort en 1948, et Martin Luther King mort en 1968, ainsi qu’un regard sur le Printemps de Prague en 1968, comme un présage, 21 ans avant la chute du mur de Berlin, dont on fêtera l’an prochain le trentième anniversaire. Comme les événements se succèdent à un rythme accéléré… ! Les années passant, il est vrai, la perception du temps s’emballe… inéluctablement !
2017, année de la femme ?
Peut-être, dans quelques années, ne retiendra-t-on de l’année 2017 que cette onde de choc, née de l’affaire Weinstein, qui déclencha une cascade de révélations et de dénonciations sur les violences sexuelles faites aux femmes notamment dans le monde du spectacle, des médias ou de la politique… Dans de nombreux pays, les femmes sortaient de leur silence, révélant l’ampleur des inégalités entre hommes et femmes.
Au même moment, sortait sur les écrans le film Les Gardiennes de Xavier Beauvois, le réalisateur heureux Des hommes et des dieux. L’action se déroule durant la Première guerre mondiale à la ferme du Paridier dans le Limousin. Les hommes sont au front ; les femmes font marcher les fermes. Vaillantes face à la dureté de la tâche, elles luttent contre les pénuries, notamment de main d’œuvre. Hortense, la doyenne du Paridier, jouée par Nathalie Baye, décide d’engager une jeune fille de l’assistance publique pour les seconder, elle et sa fille. Tout se passe harmonieusement bien au gré des saisons et des tâches sans relâche, des permissions des hommes et de l’annonce d’une tragique nouvelle venue du front, des échanges de lettres et des visites de soldats américains en garnison dans le coin. La cruauté de la guerre n’a pas éteint le désir. L’émancipation féminine se traduit également par une certaine modernité dans l’exploitation avec l’achat d’une moissonneuse-lieuse puis d’un tracteur. Mais l’ordre féminin sera vite perturbé par le souci de préserver la cellule familiale et le patrimoine au prix d’une cruelle injustice faite à la servante qui n’a pourtant pas démérité. L’ordre social (masculin ?) reprenait inexorablement le dessus. Dans la réalité, dès la fin de la guerre, le patriarcat reprendra ses droits.
Nul ne sait si, un siècle plus tard, l’onde de choc de l’affaire Weinstein sera vite oubliée parmi l’abondance de nouvelles ou s’il va s’opérer une révolution dans les relations entre hommes et femmes. Seul l’avenir le dira !
Bel exemple d’intégration !
Je m’apprêtais à traiter dans ce billet de la grogne des maires ruraux, quand, le week-end dernier, j’ai eu l’occasion de voir un remarquable documentaire : Un paese di Calabria (un village de Calabre). Ce film de Shu Aiello et Catherine Catela raconte l’histoire de Riace, qui, comme beaucoup de villages du sud de l’Italie, a subi un exode rural massif. Un jour, c’était il y a plus de vingt ans, échoue sur la plage un bateau transportant 200 Kurdes fuyant la Turquie. Spontanément la population de Riace, le village le plus proche de la plage accroché à la montagne, avec ses paysages sublimes d’orangeraies, a accueilli cette nouvelle population. A l’époque, c’est Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi) qui administre le village, mais un conseiller d’opposition, Domenico Lucano, réussit à convaincre le conseil municipal de positiver l’accueil. Aux élections suivantes, il est élu maire et l’est depuis plus de 16 ans, signe qu’une grande partie de la population partage son choix, loin d’être évident au départ !
Après les Kurdes, ce furent des Soudanais, puis de nombreuses autres nationalités. Tous ne vont pas rester, mais le village désormais revit. Les maisons abandonnées au lierre ont été réhabilitées, le commerce est relancé et l’avenir de l’école n’est plus compromis. Riace compte aujourd’hui 2 100 habitants contre 900, vingt ans plus tôt, et près de 22 nationalités qui semblent vivre plutôt harmonieusement. Dans cette culture méditerranéenne de religiosité populaire, l’église est devenue un lieu de rencontres ouvert à tous. Le curé est formidable, tout comme l’institutrice à la retraite qui donne des cours d’alphabétisation. Un tourisme solidaire s’est installé. Et quelques villages voisins s’inspirent de l’exemple de Riace, malgré les difficultés, mais loin des clichés qui alimentent dans bien d’autres contrées ce climat délétère autour des migrants. Entre l’exil passé des Calabrais, notamment vers la France, et l’arrivée de ces nouvelles populations, l’on découvre aussi que nous sommes en fait tous des migrants !
Cinémas paysans
Le cinéma paysan se porte plutôt bien avec récemment la sortie du film d’Hubert Charuel, Petit Paysan, qui a connu un certain succès en salles, et, la semaine passée, celle du documentaire de Christophe Agou, Sans Adieu, sur les derniers paysans du Forez, lui aussi bien accueilli par la critique.
Certes le cinéma rural n’a pas eu le même lustre en France qu’outre-Atlantique. John Ford, le réalisateur des Raisins de la Colère et de nombreux westerns, aimait à dire : « Je suis paysan et je fais des films de paysans ». Mais dans les décennies passées, certains films comme La Horse avec Jean Gabin ou Les Granges brûlées avec Simone Signoret, et des adaptations comme Regain par Marcel Pagnol, Le Cheval d’orgueil par Claude Chabrol ou Jean de Florette par Claude Berri, ont connu un grand succès en salles. Mais ce sont les exceptions qui confirment la règle, car beaucoup d’autres films donnaient une image caricaturale jusqu’à la niaiserie du monde paysan.
Par contre la France cultive un réel savoir-faire dans le documentaire sociologique, en grande partie grâce au Service Cinéma du ministère de l’Agriculture. Créé en 1947 par Armand Chartier, un passionné d’éducation populaire et de cinéma, – pour réaliser des films techniques qui progressivement vont s’orienter vers une approche plus sociologique -, il produira plus de 500 films et fera travailler de grands réalisateurs comme Robert Enrico, Jacques Demy, Jacques Doillon, Marcel Bluwal, René Clément, Denys de la Patellière et bien sûr Georges Rouquier, le réalisateur de Farrebique et de Biquefarre, considérés comme des films cultes aux Etats-Unis. Dans leur sillage, on retrouve Bernard Dartigues avec La Part des choses, Raymond Depardon avec Profils paysans et, aujourd’hui, le photographe Christophe Agou, le réalisateur de Sans Adieu, (décédé après le montage de ce film), qui propose un regard tendre et âpre sur ces derniers paysans du Forez confrontés à la solitude et à la vieillesse et représentants d’un monde qui disparaît dans l’indifférence générale.
A bas le néolithique !
Il y a une certaine mode intellectuelle à dénoncer aujourd’hui la révolution néolithique, qui transforma les sociétés de chasseurs cueilleurs en une civilisation agricole et favorisa la sédentarité, le boom démographique, les premières cités et les premiers royaumes. Sans doute, a-t-elle également contribué au développement des inégalités, des guerres, des pandémies, de l’esclavage, mais aussi permis celui de l’écriture, de la philosophie, des arts… Révélateur de cet état d’esprit, le succès mondial de Sapiens – Une brève histoire de l’humanité, un best-seller traduit en une trentaine de langues, dans lequel l’auteur, un historien israélien, bouddhiste et végétalien, Yuval Noah Harari, décrit les moteurs du développement humain depuis la Préhistoire jusqu’à cette domination sans partage des Homo Sapiens sur la planète.
Il consacre un long chapitre à la révolution agricole qu’il considère comme « la plus grande escroquerie de l’histoire ». Il explique que les chasseurs-cueilleurs vivaient mieux, avaient une alimentation plus équilibrée et une vie pleine de sens. Il considère que ce sont les plantes qui domestiquèrent l’Homo Sapiens, plutôt que l’inverse. Bill Gates et Mark Zuckerberg, patrons de Microsoft et de Facebook, ont dit tout le bien qu’il pensait de ce livre. Est-ce un hasard ?
Car, paradoxalement, ces réflexions, qui nous rendraient presque nostalgiques du bon vieux temps des chasseurs-cueilleurs, arrivent au moment où l’on semble entrer dans une nouvelle ère (où, peut-être les formes d’agriculture que nous connaissons aujourd’hui vont disparaître ?), quittant définitivement cette société post-néolithique. C’est d’ailleurs le thème du dernier livre de cet auteur, Homo Deus, une brève histoire de l’avenir sur fond de quête d’immortalité et de transhumanisme, d’intelligence artificielle et de manipulations génétiques. « L’Histoire, écrit Harari dans Sapiens, commença quand les humains ont inventé les dieux. Elle s’achèvera quand ils deviendront des dieux ».
De l’esclavache…
Emouvant témoignage sans fioritures et tout empreint de dignité, que ce livre écrit à quatre mains, Le jour où on a vendu nos vaches (1). Les auteurs, un couple d’éleveurs laitiers du Bessin, qui n’ont pas 40 ans, décrivent les angoisses du quotidien. Ludivine s’est toujours rêvée en citadine. Pas question d’épouser un agriculteur ! Le destin en a décidera autrement. Christophe est attaché à son métier. Il travaille comme un fou pour ne rien gagner. Elle doit travailler à l’extérieur. Et puis un jour, alors qu’ils font les courses pour Noël, la carte est refusée. Ils découvrent qu’ils sont interdits bancaires. On vit alors avec eux au jour le jour, la crise laitière, les manifestations contre Lactalis et Leclerc, – dont Christophe fut un des meneurs -, la spirale de l’endettement, les saisies sur salaires, les estomacs noués et les nuits d’insomnie, la sensation d’être inutile et la honte qui en découle, la crainte de la dépression ou du pire et les difficultés du couple, la cantine des enfants qu’on n’arrive pas à payer, les ragots et les médisances des voisins qui ne pensent qu’à l’appel de la terre… Et puis un jour de février 2016, c’est la vente du troupeau, une rupture douloureuse, mais en même temps un soulagement. La semaine suivante, Ludivine fait ses courses. Juste avant de passer en caisse, elle se rend compte qu’il manque le pack de lait. C’est la première fois qu’elle doit acheter du lait. Elle pleure comme une madeleine. Le directeur du supermarché qui l’a vue est gêné. Digne, elle a ravale ses sanglots, sèche ses larmes puis tourne les talons. Au moment où je termine le livre, j’apprends que le film Le petit paysan (2), d’Hubert Charuel, fils d’éleveurs, est primé au Festival d’Angoulême. L’histoire, un éleveur laitier trentenaire qui se bat pour sauver son troupeau atteint d’une épidémie… C’est à se demander si les jurés de ce festival n’ont pas plus conscience de ces drames des campagnes que nos décideurs !
- Ludivine et Christophe Le Monnier avec Bérangère Lepetit“ Le jour où l’on a vendu nos vaches » – Flammarion 19 €. (2) Le petit paysan sort en salle le 30 août.
Eloge de la sobriété
Une communauté Emmaüs est souvent un microcosme de la société. Elle témoigne des excès consuméristes et du gaspillage, mais permet de rencontrer des personnes aux parcours aussi divers qu’étonnants. La semaine passée, je croise André, 79 ans, client d’Emmaüs Lescar-Pau, qui vient chaque jour acheter pour 20 ou 50 € d’objets en tous genres. Cet amateur de voitures anciennes collectionne les objets insolites et veut en faire un musée. Une véritable addiction ! Son antre est un imposant Capharnaüm où sont empilées des dizaines de milliers d’objets et ses quelques créations artistiques, à vous donner le vertige. Le même jour, je rencontre Florence. Allure bon chic bon genre, famille bourgeoise, diplômée de Sciences Po Paris, cette mère de famille, divorcée, a travaillé dans la finance avant de devenir psychothérapeute. Elle est engagée dans le mouvement alternatif Bizi (vivre ! en langue basque) et coache des entreprises sociales et solidaires. Récemment elle a passé trois semaines au sein de la communauté Emmaüs. Son bonheur est désormais dans la simplicité, le dénuement, la rencontre…
Beaucoup, comme Florence, se veulent, pour la vie ou le temps des vacances, en rupture avec cette société du trop de tout : trop d’accumulations et de préoccupations, trop de bouffe et d’argent, trop de complexité et de superficialité. Ils prônent un idéal de sobriété sur les traces de ces apôtres du dépouillement : d’Epicure, qui, considérait que : « Parmi les désirs, tous ceux dont la non-satisfaction n’amènent pas la douleur ne sont point nécessaires », à Pierre Rabhi, en passant par Henry-David Thoreau, cet adepte de la contemplation de la nature, qui avait choisi de vivre dans les bois dans une cabane de 13 m2, expérience racontée dans son magnifique livre Walden ou la vie dans les bois.
Mais le cheminement n’est pas facile car derrière la simplicité, qui n’est pas synonyme de facilité, se cache une démarche complexe. Picasso ne disait-il pas qu’il avait passé toute sa vie à apprendre à dessiner comme un enfant !
Eloge de l’abeille
Et si l’abeille, à travers le débat sur les néonicotinoïdes, avait été à l’origine du premier clash gouvernemental de l’ère macronienne ! Les abeilles, les ruches et leur organisation taylorienne, avec grande reine, faux bourdons et ouvrières, nous fascinent depuis l’Antiquité. Pour Virgile, les abeilles renferment une parcelle de « la Divine Intelligence », que confirmeront les travaux de l’éthologiste Karl Von Frisch nous montrant qu’elles sont capables d’apprendre et d’indiquer par la danse les sources de nourriture à leurs congénères. Malgré un tout petit cerveau (un millimètre cube contenant 900 000 neurones, contre 100 milliards pour l’homme), elles sont capables d’élaborer des concepts abstraits et de faire preuve d’aptitudes cognitives remarquables. Domestiquées mais insoumises, elles symbolisent dans la mythologie, l’éloquence, la poésie, l’intelligence. La ruche fut un modèle politique, pour Platon, et l’industriel Godin, disciple de Charles Fourier, avait conçu son familistère comme une ruche, symbole d’un nouvel ordre social. Quant au philosophe hollandais Mandeville, il soutenait dans sa fable des abeilles, écrite en 1714, que le vice, entendu comme recherche de l’intérêt privé, était la condition de la prospérité. Credo repris depuis par des générations d’économistes libéraux. Seule insecte capable de fabriquer sa nourriture dont l’homme exploite la production, la mouche du miel, comme l’appelait le botaniste Linné, est aussi un pollinisateur qui collabore pour près d’un tiers à l’alimentation de l’humanité, soit, selon l’INRA, une contribution annuelle de 153 milliards de dollars à notre PIB mondial. Alors leur déclin (20 à 30 % de surmortalité) dû à la fois au dérèglement climatique, aux parasites, à l’érosion des espaces naturels et aux pesticides, ne doit pas laisser indifférent la ruche humaine. L’un de mes amis, apiculteur passionné et bon connaisseur des sociétés humaines (car longtemps cadre infirmier dans un hôpital psychiatrique) me confiait : « Ce que j’aime chez l’abeille, c’est qu’elle est un animal rationnel et pragmatique, ce qui n’est pas le cas de l’homme ! ».
De scrutin en scrutin
J’habite la France périphérique, celle des territoires pauvres et dépeuplés. Bien que située à une heure de la capitale, ma région paraît si lointaine culturellement et sociologiquement de Paris. Si, dans la capitale, l’on a voté à 90 % en faveur d’Emmanuel Macron, l’Aisne est le département qui a le plus voté (53 %) pour la candidate du Front National. Le score de cette dernière atteint 70 % dans mon village, dont on disait, il y a trois décennies, qu’il votait à peu près comme la France. Et ce n’est pas l’exception. Quand je croise trois personnes, je me dis que, statistiquement, au moins deux ont voté Marine Le Pen. Que s’est-il donc passé ? La crainte de l’immigré ? Il y en a si peu !, à l’exception de notre curé béninois, mais plutôt bien vu par la population. Il faut rechercher les causes de ce vote dans le déracinement social d’une région plutôt prospère au début des trente glorieuses. Depuis l’emploi agricole a chuté considérablement et les industries ont en grande partie disparu. Déjà, dans les années 1980, cette paupérisation était en marche. A l’époque, Le Point qui publiait régulièrement le classement des départements en fonction du bien-être de la population, mêlant temps d’ensoleillement, pourcentage de bacheliers et nombre de lits d’hôpitaux par milliers d’habitants parmi de nombreux autres critères, plaçait les départements picards en queue de peloton. Les lacunes dans la formation étaient déjà pointées du doigt. Je me souviens avoir entendu bien des jeunes dire : ah quoi bon continuer l’école pour travailler à la ferme ou à l’usine ! Propos largement acquiescés par les adultes. Depuis la situation ne s’est guère améliorée. Les gens les mieux formés sont partis et ceux qui sont en galère se retrouvent autour de l’abribus, où il n’y a quasiment plus de bus qui passent. Difficile de répondre aux arguments de ces gens déclassés, sans espoir ! C’est pourtant la tâche, ô combien complexe, qu’aura à mener le nouveau Président de la République et son gouvernement.
Dans l’intimité des arbres
De Virgile à Giono, en passant par Rousseau, Goethe, Hugo, Chateaubriand et bien d’autres, poètes et écrivains ont su mettre des mots pour dire la majesté et l’élégance des arbres, et exprimer ces rêveries, sensations et émotions, que tout promeneur, amoureux des forêts et des arbres, éprouve. Dans un style différent et avec le regard du scientifique, Peter Wohlleben, forestier allemand, qui dirige une forêt écologique, nous émerveille tout autant dans son livre La vie secrète des arbres, best-seller outre-Rhin. Après la lecture de ce livre, on ne regarde plus les arbres de la même manière. Cette plongée dans un univers fascinant nous fait découvrir des arbres ingénieux et inventifs, capables de communiquer en émettant des odeurs ou de transmettre des informations par leurs imposants tissus racinaires, comme l’imminence d’une attaque d’insectes. Des arbres obéissant à un code de bonne conduite, respectant les plus faibles, partageant l’eau, la nourriture avec leurs congénères, malgré la vive concurrence dans l’accès à la lumière ou à l’eau. « Les arbres compensent mutuellement leurs faiblesses et leurs forces », écrit Peter Wohlleben.
Ce livre est aussi un éloge du temps long et de la biodiversité (une centaine d’espèces différentes sont associées aux racines du chêne), dont pourrait s’inspirer l’agriculture du futur. Il appelle à considérer la forêt autrement que comme un lieu de production de bois et donc à mieux la respecter. « Nous devons veiller à ne pas puiser dans l’écosystème forestier au-delà du nécessaire et nous devons traiter les arbres comme nous traitons les animaux en leur évitant des souffrances inutiles », écrit l’auteur qui ajoute : « Les forêts ressemblent à des communautés humaines ». Et, par bien des aspects, nous avons beaucoup à apprendre des arbres. Bernard de Clairvaux ne disait-il pas : « Tu trouveras bien plus dans les forêts que dans les livres. Les arbres et les pierres t’enseigneront ce qu’aucun maître ne te dira. »
La vie secrète des plantes – Peter Wohlleben – Les arênes – 260 pages – 20,90 €.
Le meilleur des mondes !
Dans la perspective des sept heures à passer dans le train qui me ramène de Pau à mon village des Hauts de France, je me suis procuré le hors-série du Monde et de La Vie sur L’histoire de l’homme, une aventure de 7 millions d’années, et après ?, ainsi que le livre de Marc Dugain et Christophe Labbé L’homme nu qui nous met en garde contre la dictature invisible du numérique. Ces deux publications nous interrogent sur les menaces d’un futur digital, mêlant ces géants du numérique et l’appareil de renseignement américain. Ces gourous de l’Internet prennent nos gènes pour un programme informatique, veulent reformater l’Humanité et l’Homme (avec comme perspective le transhumanisme et l’immortalité !), pensent que « le cerveau humain est un ordinateur obsolète qui a besoin d’un processeur plus rapide et d’une mémoire plus étendue », considèrent la vie privée comme une anomalie, préparent des hommes sans mémoire, programmés et sous surveillance (pour notre bien et notre sécurité !) et constatent que si les Etats-Unis était la nation dominante d’hier, Google sera la puissance dominante de demain… A ce sujet, le gouvernement danois a récemment annoncé son intention de nommer un ambassadeur auprès des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). Ces quatre entreprises dépassent largement le PIB du royaume scandinave. Une première que cette reconnaissance du statut d’Etat à des entreprises sans territoires qui défient les Etats et échappent bien souvent à l’impôt via les paradis fiscaux ! Dans le train, je pense alors à ce séjour au village alternatif d’Emmaüs Lescar Pau et à sa ferme qui vise l’autosuffisance alimentaire de la communauté composée d’environ 150 membres. Ce village fait cohabiter plutôt harmonieusement des personnes rejetées par la société et d’autres qui, par engagement, rejettent cette même société. Je me dis alors que je préfère cette société, malgré ses imperfections, à cette civilisation du big data nous menant tout droit sans qu’on en ait conscience à un machiavélique meilleur des mondes ! Déjà en 1576, Etienne de La Boétie nous interpellait sur ces dangers dans son Discours sur la servitude volontaire.
La ferme des robots
Chaque année, la couverture du salon de l’agriculture par les médias nous montre deux facettes du monde agricole, avec ce contraste saisissant, entre d’un côté la réalité sociale, le mal-être paysan et de l’autre une agriculture de hautes technologies qui fait parfois rêver. Robotique et intelligence artificielle, capteurs et puces, habilement vendus par les services marketing des constructeurs suscitent l’enthousiasme, à la fois envoûtant et parfois béat, car l’on peut s’interroger sur les bénéfices escomptés d’investissements souvent très lourds dans un secteur où les marges sont si faibles. Et puis qu’en est-il de l’autonomie de l’agriculteur dans ses choix agronomiques, obéissant à des algorithmes et des logiciels qui imposent modèles et produits. Exit le sixième sens de l’éleveur et le tour de plaine du cultivateur, désormais les yeux rivés sur leurs écrans digitaux et en alerte presque 24 heures sur 24.
Et si les robots non seulement remplaçaient les hommes mais prenaient le pouvoir à la manière dont George Orwell faisait prendre le pouvoir par des animaux dans son livre La ferme des animaux. Dans cet ouvrage publié en 1945, qui se voulait une satire de la révolution bolchevique, un vieux cochon, Sage l’Ancien, incite les animaux de la ferme à la révolte contre leurs maîtres, ces animaux à deux pattes que sont les humains. Ils se révoltent, chassent les hommes de la ferme, prennent le pouvoir dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais très vite, leurs idéaux sont dévoyés. Les cochons tombent dans le culte de la personnalité, instaurent une dictature, mettent leurs congénères en état de soumission, exécutent les traîtres… Les nouveaux maîtres ne sont pas mieux que les anciens…
S’il était encore des nôtres, George Orwell, l’inventeur de Big Brother, – dont, soit dit en passant son best-seller 1984, publié en 1948, est, depuis l’élection de Donald Trump, en tête des ventes aux Etats-Unis -, remplacerait sans doute les animaux par des robots, comme pour nous ramener devant cet emballement technologique à cette question essentielle : et l’homme dans tout cela !
Autour de l’idée de revenu universel
Le concept de revenu universel, permettant de protéger contre les aléas de la vie en offrant aux personnes défavorisées la protection d’un revenu de base, a marqué les débats de la primaire socialiste. Cette idée qui traverse les clivages idéologiques, n’est pas nouvelle : de Thomas More, qui imaginait à l’époque de la Renaissance, dans L’Utopie, une île où chacun disposerait des moyens de subsistance sans dépendre de son travail, à l’économiste libéral Milton Friedman qui défendait l’idée d’un revenu de base en jouant sur l’impôt, en passant par Martin Luther King et Bertrand Russel… Dans les temps plus anciens cette idée fut souvent liée à la répartition de la terre et de ses fruits. Sous l’Empire romain, le service de l’annonce permettait aux seuls citoyens romains de recevoir gratuitement le blé et le vin nécessaires pour leur subsistance. En 1797, Thomas Paine, un intellectuel britannique qui considérait que la terre, bien indivis donné aux hommes, avait été « accaparée » par les grands propriétaires, proposait que ces derniers versent une redevance à tous ceux qui ne bénéficiaient pas de cet héritage naturel. Quant à Napoléon III, il proposait dans un livre publié en 1844 L’extinction du paupérisme, que l’Etat rachète les terres en friche pour les allouer aux pauvres.
Dans des situations difficiles que connaissent aujourd’hui bon nombre d’agriculteurs, – un tiers des producteurs laitiers toucheraient moins de 350 € par mois -, l’idée d’un revenu de base permettrait d’envisager l’avenir de façon moins traumatisante. De même pour les commerçants en milieu rural qui jouent parfois un rôle de service public. Reste à régler l’épineuse question du financement ! Dans un monde où les inégalités ne cessent de grandir, – en France, selon Oxfam, les 21 personnes les plus riches possèderaient autant que les 40 % les plus pauvres de la population -, le débat mérite d’être engagé.
Le verre à moitié plein !
Alep et Mossoul, le 14 juillet à Nice et le marché de Noël de Berlin, la Turquie d’Erdogan et ses dérives, l’Amérique de Trump et la Russie de Poutine qui inquiètent, l’Europe en panne, engourdie et frileuse, repliée sur elle-même… Le temps du Nouvel An est l’occasion de tirer des bilans. Et 2016 nous laisse cette impression d’un monde d’une violence extrême beaucoup plus radicale qu’auparavant. Et pourtant !
Invité de la matinale de France Inter avant Noël, l’astrophysicien Hubert Reeves rappelait que sous l’Empire romain, la probabilité de mourir de façon violente était cinquante fois plus élevée qu’aujourd’hui. Le philosophe Michel Serres dans son dernier livre Darwin, Bonaparte et la Samaritaine, une philosophie de l’histoire dit à peu près la même chose. Pour Michel Serres, nous sommes sortis de ce temps de guerre perpétuelle. Le philosophe estime qu’entre le deuxième millénaire avant Jésus-Christ et Hiroshima, les temps de paix ont été rares : 9 %, alors que depuis, en un demi-siècle, nous avons gagné vingt ans d’espérance de vie. Michel Serres comme Hubert Reeves, tous deux nés avant la Seconde guerre mondiale, ont vécu le temps ancien, où le rapport à la mort, le rapport à la violence a changé. Aujourd’hui nous vivons dans l’instant présent, sans regard sur le tragique de l’Histoire. Songeons que la journée la plus terrible durant la Première guerre mondiale a vu mourir 28 000 de nos poilus !
Chaque mort est une tragédie et chaque mort violente l’est encore plus, mais osons le regard sur le passé comme nous y invitent Michel Serres et Hubert Reeves. Dans la masse des mauvaises nouvelles qui nous assaillent chaque jour, c’est une petite dose d’espérance. « J’ai une âme sculptée par la vie et par la paix », répète volontiers Michel Serres. C’est ce que je souhaite à chacun pour 2017.
La revanche des territoires
Dans ce contexte de mondialisation, où le global l’emporte sur le local et où les réseaux ont pris l’ascendant sur les liens de proximité, différents scrutins, à contre-courant de ces évolutions, montrent l’importance des fractures territoriales. Ce fut notamment le cas du Brexit, avec Londres et sa City, très favorables au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne face aux villes désindustrialisées et aux zones rurales très Brexit. Lors de la présidentielle américaine, Donald Trump a construit sa victoire dans les Etats ruraux et désindustrialisés alors qu’Hillary Clinton dominait son adversaire dans les métropoles des côtes Ouest et Est. Ce constat, on le retrouve, dans une moindre mesure, dans la primaire de la droite et du centre où le succès de François Fillon, archétype de la France provinciale, (même s’il est député de Paris !), apparaît comme l’antidote de l’esprit « bobo » des grandes métropoles. Jamais donc les fractures territoriales n’ont été aussi fortes qu’aujourd’hui, même si le phénomène n’est pas nouveau.
Depuis le Moyen-Age, les villes ont pris l’ascendant sur les campagnes. Depuis les Lumières, la science a privilégié les lois universelles aux adaptations locales. Depuis la fin des trente glorieuses, la politique d’aménagement du territoire a été négligée. Aujourd’hui, les grandes métropoles sont les seules à tirer leur épingle du jeu, alors que les inégalités se creusent avec le reste du territoire. Inégalités renforcées par la crise des finances publiques qui a mis à mal les mécanismes de compensation en faveur des territoires les plus fragiles.
Les fractures sociales qui avaient dominé les joutes électorales passées deviennent donc de plus en plus des fractures territoriales. L’enjeu d’harmoniser mieux nos territoires devient essentiel, même si les choix effectués par les électeurs n’apportent pas vraiment de réponses, si ce n’est celui d’un libéralisme un peu plus débridé, qui, au contraire, risque d’accentuer encore ces fractures territoriales et sociales.
Nous sommes tous wallons !
Que la Wallonie, comparée ces derniers jours à un village gaulois, ait été en pointe dans la contestation de certaines règles du CETA (1) n’a rien de surprenant. Les Wallons sont aussi gaulois que nous ! La Gaule Belgique qui s’étendait des Ardennes à la Mer du Nord avec comme capitale Reims a combattu aussi ardemment les légions romaines que les autres Gaules.
« Ce n’est pas parce qu’on est seul qu’on a forcément tort », déclarait, en bon gaulois, le président du parlement wallon, Paul Magnette, politologue réputé, et tout sauf un altermondialiste. Méprisé par les grands pontes de l’Europe, le parlement wallon avait depuis un an mis en garde la Commission sur certains points du traité qui posaient problème, comme le tribunal arbitral, juridiction privée, qui permet à une entreprise de réclamer aux Etats européens des compensations financières en cas d’enfreintes aux règles du CETA, ou les menaces contre certaines activités (la viande bovine) ou certaines normes sociales et environnementales. Le plus grave dans cette affaire est que les Wallons aient été les seuls. Pendant ce temps notre premier ministre, comme beaucoup d’hommes politiques, défendait béatement le côté gagnant/gagnant de l’accord, alors que l’on sait que, dans ce type de traité, il y a certes des gagnants mais aussi des perdants. Même si l’accord est globalement gagnant pour l’Europe, ceux qui en profiteront seront bien moins nombreux que ceux qui risquent d’en subir les inconvénients. Car la mondialisation n’est pas heureuse pour tout le monde. Selon certains experts, si un tiers de la population française profite pleinement du libre-échange, les deux autres tiers sont plus ou moins « largués » ou victimes dans cette course à la mondialisation. Et ces accords commerciaux négociés dans l’opacité la plus totale ne font qu’exacerber les craintes exprimées par des opinions publiques, malheureusement tentées par le repli sur soi, le nationalisme et le vote extrémiste.
1 : CETA : accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada dimanche dernier
L’entrecôte 2.0
Impensable il y a encore quelques années, la vente de viande en ligne connaît une progression constante même si elle représente une part marginale du commerce de viandes. Toujours est-il que la semaine dernière, le journal Le Parisien titrait sur le boom de la viande en ligne, citant l’exemple de la plate-forme Okadran, qui aurait comptabilisé 15 000 € de commandes depuis sa création, il y a trois semaines. Son fondateur la définit comme « l’Airbnb de la viande »… Dans ce système, c’est le producteur qui fixe le prix, la plateforme s’adjugeant 10 à 16 % de commission. Derrière ce relatif engouement, faut-il voir l’attrait pour les circuits courts dans une filière d’une grande complexité et d’une grande opacité sur les marges des différents (et souvent nombreux) intermédiaires, avec comme seule certitude, le fait que beaucoup de producteurs ont bien du mal à dégager un revenu digne.
Avec la vente directe à la ferme, les AMAP ont été pionnières avec le triple souci de mieux rémunérer les agriculteurs, de rassurer les consommateurs et de réduire l’impact écologique. Fonctionnant sur le bénévolat, elles créent une relation directe entre le producteur et les consommateurs qui sont aussi des citoyens engagés. Ce qui n’est pas toujours le cas de ces plateformes, plus mercantiles, même si elles se réclament de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, dans le collimateur des AMAP, La Ruche qui dit oui qui compte parmi ses actionnaires Xavier Niel, le patron de Free, et l’un des cofondateurs du site de rencontres Meetic, vend sur Internet des produits du terroir que l’acheteur en ligne récupère auprès de 650 ruches tenues généralement par des autoentrepreneurs. Les défenseurs des AMAP parlent d’ « ubérisation » de l’agriculture. Querelles de bobos ! lit-on dans la presse. Quant à moi, je préfère aller acheter la viande chez mon boucher, surtout s’il se fournit auprès de producteurs locaux…
Une école ferme…
L’historien du sensible, Alain Corbin, a montré, dans son livre Les Cloches de la terre, toute l’importance des cloches dans notre paysage sonore. De tout temps, la vie des villages a été rythmée par des sons. Ainsi dans mon village, le train de 7 h 20 nous prévient qu’il est temps de partir au boulot et les cris des écoliers pendant la récréation annoncent le milieu de la matinée. Ou du moins annonçaient… Car la ligne de chemin de fer vient de fermer, ainsi que l’école. S’il faut reconnaître que les voyageurs du train se comptaient sur les doigts d’une main, l’école de Breny qui faisait partie d’un regroupement pédagogique avec deux communes voisines accueillait l’an passé dix-sept élèves. Le regroupement scolaire, qui désormais n’aura plus qu’une seule école, en attendant sans doute sa fermeture dès l’an prochain, existait depuis les années 1970. A l’époque, il fallait regrouper pour mettre fin aux classes uniques (regroupant des élèves de plusieurs cours). Des études montrèrent par la suite que les résultats pédagogiques n’étaient pas plus mauvais (voire meilleurs) que dans les classes à un seul cours.
La fermeture d’une école est toujours un traumatisme pour tout le monde. La vie d’une école est par tradition l’affaire de tous, en établissant des liens de coopération entre les instituteurs, les parents, les élèves, la mairie, les associations… D’autant plus dans des communes où la vie associative est quasi-inexistante. L’école est alors le dernier lieu du lien social pour des habitants qui, souvent, travaillent à l’extérieur. Mais qui s’en soucie dans une urbanité galopante où le monde rural devient si marginal, notamment parmi les élites, qu’au moment du tragique assassinat du Père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray, certains médias audiovisuels utilisèrent la qualificatif de village pour évoquer une ville qui compte tout de même 28 000 habitants !, soit autant que notre chef-lieu de département, Laon !
La démocratie aux champs !
De Marx à Balzac, bien des intellectuels, et encore aujourd’hui, considèrent les paysans comme des arriérés, des réactionnaires, rétifs aux Droits de l’Homme. Dans son livre La démocratie aux champs (1) Joëlle Zask, philosophe, va à contre-courant de ces clichés. « Cet essai, écrit-elle, a pour ambition de montrer que ce qui est progressivement devenu notre idéal de liberté démocratique ne vient en priorité ni de l’usine ni des Lumières ni du commerce, de la ville ou du cosmopolitisme, mais de la ferme ». L’auteure s’appuie sur de nombreux exemples : du Jardin d’Eden aux AMAP, en passant par la naissance de la démocratie américaine. Ainsi Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, considérait que la base sociale de la démocratie était formée par les paysans indépendants et la ferme comme une « petite république ».
Dès le Moyen-Age, les paysans ont su s’organiser pour s’entraider et, à la fin du XIXème siècle, ils ont adhéré aux valeurs du mutualisme et de la coopération. Ils ont tenté (souvent sans succès) de s’opposer à l’arbitraire des gouvernements : de la lutte contre les enclosures au Royaume Uni aux combats des paysans sans terre au Brésil, en passant par ces ouvriers kolkhoziens qui, sous Staline, produisaient sur leurs modestes lopins de terre (3 % des surfaces) le tiers de la production agricole de l’Union soviétique.
Pour Joëlle Zask, cultiver la terre c’est établir un équilibre : l’assister mais ne pas la forcer, c’est dialoguer avec la nature, être attentif, calculer, anticiper, coopérer, partager…, bref apprendre la démocratie. L’auteure considère le jardinage comme une forme d’éducation par l’expérience favorisant les pratiques de la citoyenneté et cite de nombreux exemples : des jardins ouvriers aux jardins partagés, des jardins de réinsertion sociale aux jardins thérapeutiques en passant par le développement de l’agriculture urbaine. Voltaire ne nous conseillait-il pas de « cultiver notre jardin ! »
(1) La démocratie aux champs – Joëlle Zask – Les empêcheurs de penser en rond/ La Découverte – 18,50 € – 2016
Brexit, suite…
Au lendemain de la victoire des partisans du Brexit, leurs leaders, particulièrement discrets ces derniers jours, ne semblent guère faire preuve d’ardeur pour s’engager dans la voie de la rupture avec le Vieux Continent. Après une campagne plutôt nauséabonde, faite d’arguments fallacieux, de chiffrages mensongers (de part et d’autre), de mise en avant du thème de l’immigration, les partisans du Brexit ne semblaient pas croire en leur victoire, tant leur impréparation saute aujourd’hui aux yeux. Ils ont joué avec le feu, remettant en cause, dès le lendemain du vote, certaines promesses électorales, notamment le transfert de la contribution britannique à l’Europe vers les budgets sociaux, et n’anticipant pas les conséquences quant à une éventuelle dislocation du Royaume-Uni où se mêlent oppositions non seulement territoriales mais aussi générationnelles sans parler des fractures politiques au sein même des partis… Tout cela pour des postures politiciennes et des intérêts électoraux à court terme ! La note pourrait être salée pour les Britanniques.
Dès le départ, David Cameron, avait joué avec le feu en proposant ce référendum pour gagner les élections générales. Sans doute, avait-il évité un revers électoral, mais c’était pour mieux « sauter » deux ans plus tard ! La tactique de son probable successeur, Boris Johnson, consistant à se démarquer de lui, pour prendre sa place, n’est pas plus glorieuse. Tout cela ne grandit guère l’idée de Démocratie, le moins mauvais des systèmes, selon leur illustre prédécesseur, Churchill, à côté de qui ces dirigeants actuels font pâle figure. Mais nous n’avons guère de leçons à donner aux Britanniques quand on voit les leaders écologistes français remettre en cause la consultation sur l’aéroport de Notre Dame des Landes. Ce qui ne traduit guère un sens exacerbé du respect des règles de la démocratie !
Edgard Pisani, le visionnaire
Parmi les fortes personnalités qui, de Jean-Baptiste Doumeng à René Dumont, de Sicco Mansholt à Michel Debatisse, ont marqué l’histoire de l’agriculture de la seconde moitié du XXème siècle, Edgard Pisani était le dernier survivant. Avec son décès, une page se tourne.
Visionnaire hors pair, grand serviteur de l’Etat, éveilleur de consciences, habile négociateur, esprit indépendant aux idées parfois radicales… tels sont les commentaires qui reviennent le plus souvent parmi la pléiade d’hommages rendus à cet homme politique atypique, dont la haute silhouette et les propos tranchants et parfois cassants en imposaient.
Né en 1918 à Tunis, Edgard Pisani entre dans l’histoire lors de la libération de Paris, en contribuant à libérer la préfecture de police. Michel Piccoli jouera son rôle dans le film Paris brûle-t-il ? Il est nommé à 26 ans sous-préfet de Haute Loire puis de Haute Marne, département dont il sera en 1954 le sénateur. C’est aussi le département du général de Gaulle. Ce dernier lui proposera en 1961 de devenir son ministre de l’Agriculture. Durant plus de cinq ans, – le record de longévité sous la Vème République à ce poste -, il va mettre en place les lois d’orientation agricole, qui vont profondément transformer le paysage agricole français, et piloter les débuts de la PAC. Face aux caciques de la FNSEA, peu portés sur les réformes gaullistes, il s’appuie sur la jeune génération des syndicalistes emmenée par Michel Debatisse. « Les plus grandes joies, confiera-t-il, que je retire de mon séjour rue de Varenne me viennent de mes relations avec les jeunes agriculteurs tous issus de la JAC. »
Plus gaullien que gaulliste, il quitte en 1967 le gouvernement, en désaccord avec Georges Pompidou, puis se rapproche en 1974 du Parti socialiste. En 1981, François Mitterrand le nomme commissaire européen au Développement. En 1984, il devient Haut-Commissaire chargé du sensible dossier de la Nouvelle Calédonie, au bord de la guerre civile. Il tente d’apaiser les tensions, amorce la négociation en faveur d’un rééquilibrage économique entre communautés caldoche et kanak, préparant ainsi le terrain aux accords que signera Michel Rocard en 1988. Dans les années 1990, il mettra ses talents de négociateur au service d’une médiation entre les Touaregs et le gouvernement de Bamako.
Par la suite, Edgard Pisani deviendra une sorte d’éveilleur de consciences, alimentant le débat sur un projet politique à réinventer. Du développement de l’Afrique à la dénonciation de la professionnalisation de la communication politique, en passant par la nécessaire évolution des institutions, l’Europe ou les problèmes d’éducation, cet iconoclaste suscitait le débat d’idées. A propos de l’Europe, il écrit dans son dernier livre Croire pour vivre, compilation de ses méditations politiques, comme pour anticiper le Brexit : « L’Europe a été pensée, elle est pensée sur des schémas périmés. Ni fédération, c’est trop ; ni confédération, ce n’est pas assez. Il faut inventer autre chose. » Il se passionnait toujours pour la question agricole et avait publié en 2004 Le vieil homme et la terre, livre dans lequel il exprimait une vision plutôt pessimiste de l’avenir : « Ce qui se passe, aujourd’hui, m’inspire plus d’inquiétude que d’espoir. A force de vouloir forcer la terre, nous prenons, en effet, le risque de la voir se dérober. A vouloir le marché, nous faisons fi du besoin que tous les peuples ont de vivre à leur manière du travail de leurs terres. A industrialiser le travail agricole, nous chassons des paysans dont les villes et les usines ne savent que faire. »
Trop c’est trop…
En 2014, l’écrivain Jean-Louis Fournier pointait du doigt non sans humour dans un magnifique petit livre Trop les travers de notre société de consommation. Trop de tout, de quoi nous donner le tournis, mais aussi trop de déchets en aval. La semaine dernière l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), chiffrait notre gaspillage alimentaire à 108 € par personne et par an, 16 milliards d’euros pour la France, soit l’équivalent de 20 milliards de repas (à titre de comparaison les restos du cœur en ont distribué l’an passé 130 millions). A tous les stades, on gaspille : à la production 32 % des dix millions de tonnes de nourriture parties à la poubelle, à la transformation (21 %), à la distribution (14 %) et à la consommation (33%). Bref nous sommes tous responsables et tous coupables.
Les chiffres au niveau mondial sont encore plus sidérants. Selon les Nations Unies, un tiers de la production agricole, soit 1,3 milliard de tonnes de nourriture, est gaspillé. C’est en tonnage deux fois la production mondiale de blé et trois fois celle de riz. En diminuant même de peu ce gaspillage, on pourrait nourrir plus que convenablement les 900 millions d’habitants de la Terre qui ne mangent pas à leur faim. Pour la plupart, paradoxalement, des travailleurs de la terre !
Le gaspillage se situe aussi en amont. Que de travail fourni, que d’énergie consommée, que de CO2 rejeté, que d’eau utilisée… pour rien ! Jeter 100 grammes de viande, c’est gâché les 1 300 ou 1 500 litres d’eau dont a besoin l’animal jusqu’à notre assiette, soit la consommation domestique quotidienne d’une famille de cinq personnes. Une baguette de pain à la poubelle, ce sont 250 litres qu’on laisse filer. « Ce qui me scandalise, a dit un jour Mère Teresa, ce n’est pas qu’il y ait des riches et des pauvres : c’est le gaspillage. »
Le TAFTA (1) en panne !
La négociation pour constituer un grand marché commun nord-atlantique de 820 millions de consommateurs a du plomb dans l’aile. La récente visite à Hanovre de Barack Obama, qui espère bien conclure la négociation avant la fin de son mandat en janvier 2017, et le soutien d’Angela Merkel à ce traité n’y changeront rien. Paradoxalement, c’est l’opinion publique allemande qui est la plus en pointe contre ce traité. Une pétition a recueilli 3,5 millions de signatures et seuls 17 % des Allemands soutiennent le projet (ils étaient 55 % en 2014). Même évolution aux Etats-Unis où seuls 15 % des Américains pensent que cette négociation est une bonne chose. Plus surprenante, la France contestataire, souvent en pointe dans la contestation altermondialiste, apparaît en retrait, occupée, il est vrai, qu’elle est avec la loi El Khomri. Pourtant la France a plus à perdre qu’à gagner, notamment sur l’épineux dossier agricole, qui pourrait mettre en cause les Indications géographiques protégées et en péril un secteur de l’élevage déjà mal en point. Selon l’hebdomadaire Marianne (2), un document publié fin décembre par le ministère américain de l’Agriculture montre que l’agriculture américaine serait la grande bénéficiaire avec plus de 10 milliards d’euros contre seulement 2 milliards pour l’européenne.
Des deux côtés de l’Atlantique, « la mondialisation heureuse » chère à Alain Minc n’est plus ce qu’elle était. Après l’échec du cycle Doha à l’OMC et aujourd’hui l’impasse de la négociation transatlantique, les vents semblent avoir tourné. Comme en témoigne l’attitude de François Hollande, qui, en 2014, pensait qu’il fallait aller vite sur ce projet, et se dit aujourd’hui prêt à utiliser son véto, comme l’avaient fait en 1962 le général de Gaulle, en disant non au projet de partenariat transatlantique proposé par Kennedy, et, en 1998, Lionel Jospin en enterrant l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI).
1 : Partenariat transatlantique du Commerce et de l’Investissement
2 : Marianne numéro du 15 avril 2016
Casse-tête
Je vous écris des « Hauts de France », nouvelle appellation du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, préférée à « Terres du Nord » et « Nord de la France », où ne figurent ni le Nord, ni la Picardie pour ne froisser personne, dans cette région aux équilibres (ou aux déséquilibres) si fragiles : deux tiers de la population et un tiers du territoire ainsi que la capitale pour le Nord, un tiers de la population et deux tiers du territoire ainsi que le président pour la Picardie. Je le conçois, le Nord n’attire guère, comme nous le firent comprendre nos amis bretons qui rebaptisèrent les Côtes du Nord en Côtes d’Armor. C’était, il est vrai, bien avant le succès du film Bienvenue chez les Chtis aveccette fameuse séquence de Michel Galabru, « Le Nooord… il y fait – 40°… »
Après tout, si l’on avait voulu faire un peu plus « fun », comme l’on dit aujourd’hui, « Pays des Chtis » n’aurait pas été si mal. D’autant que la langue chti n’est qu’un patois de la langue picarde. Cela n’aurait donc guère froissé les Picards. A la nuance près que des trois départements qui constituaient la Picardie, seule la Somme a une véritable identité picarde. Surtout ne dites pas à un producteur de Champagne de Château-Thierry (le bas de l’Aisne) qu’il est picard, il tombe en syncope. Alors nordiste !, je ne vous dis pas.
A mon goût, Hauts de France fait un peu prétentieux ! A l’oreille, Hauts de France devient vite Eaux de France. Enfin le qualificatif haut, qui désigne le relief plus que la position géographique, n’est guère adapté à l’un des territoires les plus proches du niveau de la mer, et qui n’a rien à envier au plat pays d’outre-Quiévrain. Avec comme seuls horizons, comme le chanterait Brel, les terrils, les beffrois et les flèches des cathédrales gothiques dont cette montagne couronnée de Laon qui surplombe les grandes plaines du Nord-Est et ne rencontrent guère de véritables reliefs avant la Biélorussie… Enfin, dernière inquiétude : comment vous, habitants des « Terres du Milieu » ou du « Bas de la France », allez-vous nous appeler : les « Hautistes », les « Hautains » ou les « Hauteurs » ? Tout cela n’est guère flatteur !
70 ans qui ont bouleversé la planète agricole…
Porter un regard sur les sept dernières décennies, c’est constater la vertigineuse accélération de l’histoire. En effet le monde a plus changé, au cours des 70 dernières années que depuis l’Antiquité. Il a changé en mal, de l’horreur nazie jusqu’au terrorisme de Daech en passant par le Goulag soviétique… comme en bien, de la conquête de l’espace aux découvertes médicales avec l’allongement de la durée de vie en passant par l’amélioration de la condition féminine… Le regard du passé semble encore plus vertigineux lorsque l’on observe le grand chambardement de la France rurale. Le sociologue Henri Mendras écrivait que le paysan de 1940 vivait comme celui d’Hésiode.
Ainsi donc en à peine trois générations l’agriculture a connu une transformation plus considérable qu’entre la naissance de l’agriculture, il y a dix millénaires dans le Croissant fertile, et la Seconde Guerre mondiale. Bouleversement démographique d’abord : on est passé de plus de quatre millions d’actifs dans l’agriculture à moins de 500 000 aujourd’hui. Bouleversement sociologique : on est passé d’un monde encore majoritairement rural à un monde urbanisé, dans l’espace comme dans les esprits. Bouleversements technologiques : une vache qui donnait 1 200 litres par lactation au lendemain de la guerre en produit aujourd’hui huit fois plus, tandis que, des années 1960 aux années 1990, le rendement en blé augmentait d’un quintal par an ! Bouleversement professionnel, on est passé de l’état de paysan au métier d’agriculteur, de l’exploitation familiale à des structures juridiques nouvelles.
Pourtant au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France est meurtrie, traumatisée par la débâcle de 1940. Elle est nettement en retard par rapport aux pays voisins. Malgré le plan Marshall et l’arrivée de tracteurs américains, la mutation est lente et la production en panne. A la fin des années 1940, la France importe près de la moitié de ses besoins en blé des Etats-Unis. Et les tickets de rationnement perdureront jusqu’en 1949. Le tracteur, symbole de la modernisation, a du mal à s’imposer, même si, au sein du Commissariat au Plan dirigé par Jean Monnet, l’agronome René Dumont fait placer le machinisme agricole parmi les priorités de la nation.
Dès les années 1960, tout s’accélère, avec l’avènement de la Cinquième République et la construction européenne. L’objectif des nouveaux gouvernants est de moderniser l’agriculture pour développer l’industrie. Le Premier ministre, Michel Debré, et le ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani, s’appuient sur les jeunes agriculteurs, formés par la JAC et font voter les lois d’orientation de 1960 et 1962 qui vont moderniser l’agriculture pour une génération, et permettre l’installation de jeunes agriculteurs sur des exploitations considérées comme viables. C’est la fin des paysans et l’accélération de l’exode rural, que chante Jean Ferrat avec La Montagne. Dans ce contexte la France impose sa vision à l’ensemble de ses partenaires, avec le soutien de Sicco Mansholt, le Commissaire européen à l’Agriculture, dans la construction de la PAC qui sera durant deux décennies la seule politique sectorielle véritablement intégrée.
L’heure est donc au productivisme. Les pouvoirs publics comme la société demandent aux paysans français de nourrir le pays à bas prix. Ce qu’ils feront presque trop bien ! Groupes de vulgarisation, Centres d’études techniques agricoles, développement de l’enseignement agricole contribuent à la formation des nouvelles générations d’agriculteurs qui se heurtent souvent à leur père. Les engrais, la sélection variétale des semences, la mécanisation, le développement de l’insémination artificielle, la génétique animale, la création de CUMA… contribuent au succès de l’agriculture française, qui, très vite, rattrape son retard et s’impose comme la principale agriculture des Six qui constituent alors la Communauté économique européenne. Les agriculteurs sont les Japonais de l’économie française, écrit alors l’économiste Michel Albert. Les céréales françaises dament parfois le pion aux céréales américaines sur les marchés mondiaux et Jean-Baptiste Doumeng fait fortune dans le commerce agro-alimentaire avec les pays de l’Est.
Mais très vite la machine s’emballe. Les excédents grèvent le budget européen, en particulier le lait, dont la production sera contingentée, et les céréales, dont les prix de soutien vont diminuer. Les crises monétaires remettent en cause l’unité des prix au niveau européen, avec l’instauration des fameux montants compensatoires monétaires. Les chocs pétroliers accroissent les charges. Le rapport de forces au sein des filières est bouleversé avec le poids accru des industries d’amont et d’aval, et surtout par la suite de la grande distribution dont le développement est soutenu par les pouvoirs publics pour lutter contre l’inflation. Dans les années qui suivent la grande distribution s’accaparera la plus grosse partie de la valeur ajoutée. Les trente glorieuses qui, en fait, n’auront été que vingt se terminent, amorçant une période de ruptures avec l’émergence de deux mouvements d’opinions qui vont transcender les partis politiques, l’écologie et le libéralisme économique.
Après mai 1968 et la remise en cause de la société de consommation, les mouvements écologistes font entendre leur voix. Un livre Le Printemps silencieux de Rachel Carson, best-seller mondial, témoigne des dégâts du DDT sur la faune. Plus tard l’affaire des veaux aux hormones suscite la méfiance des consommateurs. D’autant que les crises sanitaires se multiplient, jusqu’à l’épisode tragique de la vache folle. Côté économique, après les élections de Margareth Thatcher et Ronald Reagan, les monétaristes ont pris le dessus sur les keynésiens qui, jusqu’alors, avaient marqué les politiques économiques des pays occidentaux. C’est la fin de l’Etat-providence et de l’économie sociale de marché, qu’accentueront la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’empire soviétique. L’économie financière s’impose à l’économie réelle. L’heure est à la dérégulation. La PAC n’y échappe pas. Les négociations du GATT puis de l’OMC imposent en 1992 à l’Europe qui s’élargit une réforme drastique, marquée par le gel d’une partie des terres. Premiers pas vers un « détricotage » de la PAC qui annonce la fin à terme de deux de ses piliers que sont le tarif douanier commun et les organisations communes de marché et ouvre la porte à une concurrence exacerbée entre producteurs des différents Etats-Membres.
Cette évolution suscite bien des inquiétudes. Alors que les nouvelles technologies du vivant pourraient encore concentrer un peu plus la production, l’on s’inquiète du devenir des territoires ruraux. Les services publics désertent de plus en plus les campagnes. En 1991, Raymond Lacombe sensibilise l’opinion publique en organisant avec succès le dimanche des terres de France qui rassemblera 300 000 ruraux venus de toutes les provinces sur le pavé parisien.
Car l’agriculture est plus que l’agriculture, comme le note Edgard Pisani dans Le vieil homme et la terre. Paradoxalement, alors que le nombre d’actifs ne cesse de baisser, que sa contribution au PIB s’effrite, l’agriculture se trouve plus que jamais au cœur des enjeux de société. Enjeux géopolitiques, économiques et sociaux avec la mondialisation, les défis Nord/Sud, la question de l’emploi, l’avenir de l’Europe, la financiarisation de l’agriculture qui se traduit par les dérives spéculatives sur les marchés mondiaux et l’accaparement des terres, notamment dans le tiers monde, alors que le nombre de paysans n’a jamais été aussi élevé dans le monde… Enjeux sanitaires avec la sécurité alimentaire. Enjeux territoriaux avec les déserts ruraux et la « métropolisation » du territoire… Enjeux technologiques et éthiques liés aux nouvelles technologies du vivant comme la transgénèse ou le clonage… Enjeux culturels avec la question des paysages, des terroirs, du bio et de la qualité gastronomique… Enjeux environnementaux, de la question de l’eau à la dégradation des sols, du réchauffement climatique à la protection de la biodiversité… Entre vaches folles et Dolly, malbouffe et gastronomie, grande distribution et circuits courts, comme les AMAP, productions intensives et agriculture biologique, mode de production familial et mode de production industriel, entre fonction nourricière et diversifications dans la production énergétique, la société s’interroge, les agriculteurs aussi.
Pour gérer la complexité et la diversité, autorités publiques et organisations professionnelles ne sont pas outillées, se contentant le plus souvent de gérer le quotidien et de communiquer face à une crise d’identité majeure qui se manifeste sous différents aspects, comme le refus de l’Europe. Après en avoir été les pionniers, les agriculteurs ont été la catégorie socioprofessionnelle qui a voté le plus contre la ratification des traités européens. Ou encore, le vote Front national qui ne cesse de croître au sein d’une population longtemps rétive aux idées d’extrême droite. Et, plus tragiquement, un taux de suicide des agriculteurs supérieur aux autres catégories socioprofessionnelles. Disparition du lien entre famille et exploitation, problèmes de transmission, grande diversité de situations, marginalisation des agriculteurs à la fois démographique, économique et social… contribuent à cette perte de repères. Plus anecdotique mais oh combien révélateur le développement (notamment dans les médias) du thème de l’agriculture urbaine témoigne de cette perte de repères. Il y a un siècle Alphonse Allais voulait mettre les villes à la campagne parce que l’air y était de meilleure qualité. Aujourd’hui l’agriculture urbaine se veut être un facteur le lien social dans les villes, tandis qu’à la campagne le lien social se délite.
Dans ce contexte complexe, aux logiques souvent contraires, saurons-nous gérer la diversité… ? D’autant que l’agriculture semble à contre-courant du monde d’aujourd’hui : une activité qui réclame du temps long dans un monde qui s’accélère de manière vertigineuse ; une activité sédentaire dans un monde qui se nomadise ; une activité ancrée dans les territoires au sein d’un monde globalisé fonctionnant en réseau ?
« Brexit », un mal pour un bien ?
« Brexit » ou pas ? Les électeurs britanniques en décideront le 23 juin prochain. Reconnaissons toutefois que, depuis leur adhésion à la Communauté européenne en 1972, les Britanniques ont toujours eu un pied dedans et un pied dehors. Après avoir combattu la construction européenne de l’extérieur en créant l’Association européenne de libre échange pour contrer le Marché commun, ils l’ont miné de l’intérieur, ne prenant que ce qui les arrangeait, ne cessant de quémander clauses d’exception et dérogations : depuis James Callaghan refusant d’intégrer le Système monétaire européen jusqu’au récent chantage de David Cameron, en passant par Margaret Thatcher obtenant le rabais de sa contribution au budget européen, John Major mettant son veto à la candidature à la présidence de la Commission de Jean-Luc Dehaene, ancien premier ministre belge, jugé trop fédéraliste, et Tony Blair, qui, sous des allures d’europhile, contribua au détricotage de la PAC.
N’appartenant ni à la zone euro, ni à la zone Schengen, n’ayant pas signé la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Royaume Uni a toujours favorisé le processus d’élargissement pour éviter tout approfondissement. Au fond, les Britanniques ont fait de cette Union européenne une zone de libre-échange, pour les produits mais pas forcément pour les hommes, comme le montrent les récentes dérogations accordées à David Cameron à propos de la protection sociale des travailleurs venus de l’Est.
« Nous sommes du côté des Européens mais nous n’appartenons pas à l’Europe », avait prévenu, dès 1946, Churchill. De Gaulle, qui avait à deux reprises mis son veto à leur adhésion, l’avait bien compris. Alors un « Brexit » ne serait-il pas l’occasion pour les Européens (les Six des origines plus l’Espagne et le Portugal) d’une remise à plat d’une Europe en voie de décomposition, comme le montrent les actuels relents nationalistes face aux migrants ?
Le PSG sur les terres de Grignon ?
Pour flatter le peuple, les empereurs romains proposaient du pain et des jeux. On n’a guère évolué depuis, lorsque l’on voit nos gouvernants « liquider » notre patrimoine au profit des jeux du stade. Après les Serres d’Auteuil, qui pourraient faire les frais de l’agrandissement de Roland Garros, c’est le domaine de Grignon que convoite le PSG pour en faire son centre d’entraînement (18 terrains de foot, un stade 5 000 places…). Grignon, c’est près de deux siècles d’agriculture, depuis qu’en 1826, Charles X fit l’acquisition de ce château du XVIIème pour en faire l’Institut royal agronomique, la plus ancienne école d’agronomie existante. Oasis de verdure de 500 hectares dans une région qui s’urbanise, Grignon, c’est aussi une ferme modèle (avec 180 vaches et 550 brebis), qui commercialise ses produits directement et s’adapte aux nouvelles contraintes énergétiques et environnementales. En ces temps de rigueur budgétaire, la tentation est forte pour l’Etat de se débarrasser de ce patrimoine. Comment résister aux arguments sonnants et trébuchants des Qataris, propriétaire du PSG ? Qui plus est l’opinion publique se passionne plus pour les exploits d’Ibrahimovic que de culture agronomique. Une vision à court terme que pourraient nous reprocher les générations futures ! En effet, pourquoi ne pas faire de ce lieu emblématique un Centre international de recherche et d’expérimentation pour la sauvegarde de la planète, l’alimentation et le bien-vivre de ses habitants, dans l’esprit de la COP21, comme le préconise une pétition (1), ou un centre culturel autour de l’agriculture, du vivant et de l’environnement. Après tout, le château de Grignon accueille les archives de René Dumont et de René Dubos ainsi que des trésors iconographiques. Mais voilà, pas très « sexy » ces projets, comme on dit aujourd’hui. Le pain assuré (quoique !), il ne reste que les jeux du stade, pour flatter le peuple ! C’est sans doute vrai pour le Qatar, je crains que ce ne le soit aussi un peu pour la France !
(1) Pyrene M, via Avaz.org
La vie était son jardin
La veille de Noël, le botaniste Jean-Marie Pelt s’en est allé. Comme beaucoup, j’avais été émerveillé par les vingt-six épisodes de L’aventure des plantes, une série, diffusée dans les années 1980, dans laquelle il nous sensibilisait à la magie des plantes et au respect de la nature. Car cet universitaire pharmacologue, botaniste, auteur d’une soixantaine d’ouvrages, était aussi un pédagogue hors-pair. Petit-fils d’un jardinier, il avait enseigné la pharmacognosie et la physiologie végétale à l’Université, la botanique à l’Institut européen d’écologie (qu’il avait fondé), et l’écologie à l’Ecole de Bruges. Il était également un homme de radio, aussi à l’aise aux Grosses Têtes de Philippe Bouvard qu’à CO2 mon amour de Denis Cheissoux sur France Inter, où il défendait, non sans humour, sa passion de la nature. Jean-Marie Pelt était un savant, de cette lignée de botanistes que furent Alexander Von Humboldt, les frères Jussieu, Jean Rostand ou Théodore Monod, dont il avait écrit de magnifiques portraits.
C’était un homme engagé, humaniste et fervent chrétien, pionnier de l’écologie, proche de Corinne Lepage et de Pierre Rabhi, défenseur d’une agriculture respectueuse de l’environnement et opposant aux OGM. Européen convaincu, ce Lorrain, attaché à ses racines, avait été le collaborateur de Robert Schuman, l’un des pères de l’Europe, qu’il avait accompagné à la fin de sa vie. Il sera ensuite l’adjoint de Jean-Marie Rausch à la mairie de Metz, ville dans laquelle il avait développé les espaces verts. Il fut avec Jean Bastaire, philosophe spécialiste de François d’Assise, l’un des catholiques qui ont sensibilisé l’Eglise à l’écologie. « Je me sens responsable de ma communauté, disait-il pour expliquer ses engagements, la communauté humaine, pour la petite part que j’y occupe ; et aussi de l’ensemble de la création. Et tout cela est relié par le dedans, l’intérieur, l’intériorité. » Il avait titré son livre de mémoire « Le Jardin de l’âme ».
Le prix de la liberté
Sur fond d’ambiance angoissante, entre négociations climatiques, actions terroristes et état d’urgence, j’ai découvert ce week-end un documentaire bien apaisant, malgré son titre Anaïs s’en va-t-en guerre. Ce film, réalisé par Marion Gervais, se veut plutôt pacifiste et touchant. L’on y découvre Anaïs, jeune femme de 24 ans, passionnée et libre, qui a du « nez » et a choisi de cultiver des plantes aromatiques en Bretagne. Au début du film, on la découvre en train de désherber. « Cela me détend ! », dit-elle, en colère face aux tracasseries administratives et au machisme de certains de ses formateurs qui lui jettent à la figure : « Une nana jeune qui vient de la ville et qui, en plus, est mignonne, n’a rien à faire dans l’agriculture ». Comme s’il fallait être moche pour travailler la terre ! Elle constate : « Là, où l’on m’a le plus découragé, c’est dans le milieu agricole ».
Mais, du genre déterminée, Anaïs n’en a que faire : « Je ne sais pas si ça marchera, mais je suis sûre que j’irai jusqu’au bout ». Elle en accepte le prix à payer : « Je préfère travailler 60 heures par semaine dans les champs que 35 heures dans une usine, ou de bosser pour des cons ». Pendant des mois, elle a vécu dans une caravane sans électricité ni eau courante, se contentant de l’eau du puits pour se laver. De même elle n’entend pas investir beaucoup d’argent dans son entreprise. Elle ne dormirait pas à l’idée de devoir rembourser un emprunt sur des années.
Troquant les bottes pour des escarpins, on la découvre exposant son projet à des commerciaux parisiens qui lui conseillent de jouer la carte chic tout en baptisant sa gamme de produits « La sauvage ». A la fin du film, on la retrouve chez le célèbre chef cuisinier, Olivier Roellinger qui, ébloui par la qualité de son travail, lui conseille de ne jamais perdre sa liberté. Même si le prix à payer est élevé !
Anaïs s’en va-t-en guerre – Quark Productions – Editions Montparnasse – 20 €.
« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli »
Depuis quelques mois, le débat sur les migrants et sur leur accueil en Europe secoue nos consciences. Pourtant un récent sondage réalisé par l’IFOP publié en septembre pour La Croix et Le Pèlerin a montré les réticences des catholiques face à l’accueil des migrants. 51% des pratiquants se déclarent opposés à l’accueil des migrants qui arrivent sur les côtes européennes. A titre de comparaison, 72 % des protestants se déclarent en faveur de l’accueil. Pourtant, tout au long de son histoire, l’Eglise catholique n’a pas cessé de prendre la défense du migrant et de prôner une vision positive, du fameux « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » à François, dont le premier voyage à l’extérieur de Rome en tant que pape fut une visite à Lampedusa.
Le rapport à l’étranger traverse la Bible et l’histoire du peuple hébreu de l’Exode à l’Exil à Babylone. L’Eglise est imprégnée de cette mobilité, comme le déclarait Jean-Paul II, en 1999, Jean-Paul II: « Le phénomène de la mobilité humaine évoque l’image même de l’Eglise, peuple en pèlerinage sur la terre, mais toujours orientée vers la Patrie céleste ».
Souvenons-nous de ces paroles de Jésus, qui s’était fait pauvre parmi les pauvres, déclarant : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » et dont Mgr Daucourt faisait le commentaire lors des Semaines sociales de 2006 : « Jésus ne dit pas : j’étais un malade catholique et vous êtes venus me voir. J’étais un prisonnier innocent et vous m’avez visité. J’étais un étranger avec des papiers en règle et vous m’avez accueilli. » Ou encore de cet épître de Paul aux Galates : « Il n’y a plus ni juif, ni païen, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus que l’homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus ».
Au IVème siècle, Saint Ambroise s’adressait en ces termes aux riches : « La Terre n’appartient pas aux riches, mais à tout le monde. C’est pourquoi loin de vous montrer généreux (lorsque vous faites l’aumône) vous ne faites que rembourser une partie de votre dette. »
Plus près de nous, le concile Vatican II, alors que l’Europe accueillait beaucoup de travailleurs étrangers dans des conditions parfois peu dignes, demandait à ne pas aborder le migrant comme une menace et appelait à un partage plus juste des richesses : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, de sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. »
« Dans l’Eglise, déclarait, en 1996, Jean Paul II à l’occasion de la Journée mondiale des migrants, nul n’est étranger et l’Eglise n’est étrangère à aucun homme ni aucun lieu. Pour le chrétien, le migrant n’est pas simplement un individu à respecter selon des normes fixées par la loi, mais une personne dont la présence interpelle et dont les besoins deviennent un engagement dont il est responsable ». Le même Jean-Paul II déclara : « L’Eglise se sent le devoir d’être proche comme le bon samaritain, du clandestin et du réfugié, icône contemporaine du voyageur dépouillé, roué de coups et abandonné sur le bord de la route de Jéricho ».
A l’occasion des élections présidentielles de 2007, les évêques de France publiaient un texte « Qu’as-tu fait de ton frère ? », sur le thème de l’immigration. « Le sujet est difficile et nous savons l’extrême sensibilité de nos concitoyens en ce domaine. Comment pourrions-nous nier qu’in pays comme le nôtre a des limites à sa capacité d’accueil. Cependant il convient de prendre notre juste part à cet accueil. Et juste, ici, veut dire de façon généreuse ». Ils formulaient également quelques convictions :
– Nous estimons normal que notre pays définisse une politique de l’immigration…
– Dans l’Eglise, cependant, il n’y a pas d’étranger, le baptême fait accéder, où que l’on soit, à la citoyenneté chrétienne et l’Evangile nous appelle à une fraternité universelle…
– La rencontre avec ces frères et sœurs venus d’ailleurs nous amène à poser fortement dans le débat public, la question de l’extraordinaire inégalité qui règne dans le monde…
– Parmi les migrants, beaucoup pour s’établir en France, ont franchi des difficultés considérables et certains ont risqué leur vie. Pourquoi ne pas porter à leur crédit cette volonté de rejoindre notre pays et ne pas se fonder sur elle pour leur trouver une place dans la société nationale ? Certes, nous ne pouvons pas recevoir tout monde, mais il nous est aussi impossible de renvoyer tous les clandestins. Notre pays doit pouvoir continuer à recevoir les réfugiés politique et ceux qui risquent des persécutions, y compris religieuses, dans leur pays…
Terminons à nouveau avec le pape Jean-Paul II qui déclarait : « Lorsque la compréhension du problème est conditionné par les préjugés et des attitudes xénophobes, l’Eglise ne doit pas manquer de faire entendre la voix de la fraternité en l’accompagnant de gestes qui attestent du primat de la charité. »
Des campagnes « high-tech » ?
En début de semaine l’association Sol et Civilisation organisait ses 24èmes assises sur le thème « Métropolisation, les nouveaux chemins du rural ». Depuis les années 1990, la mondialisation a entraîné une profonde mutation des territoires de plus en plus en situation de concurrence entre eux, avec des métropoles qui concentrent une grande partie de la richesse, au détriment souvent des régions en périphérie, en particulier le monde rural. Par ailleurs les lois territoriales (une par an depuis 20 ans !) ont bien du mal à s’ancrer dans la logique de projet de territoire et la dichotomie urbain/rural n’est plus vraiment adaptée à ce nouveau contexte. Pour autant, selon les experts présents, rien n’est perdu pour un monde rural qui dispose d’atouts non négligeables comme la qualité de la vie, le coût du foncier, des transports plus fluides… Les exemples de réussite sont nombreux à l’étranger (plus qu’en France, frileuse en la matière !). Ainsi le Vorarlberg, l’une des régions les plus pauvres d’Autriche, a su tirer parti de sa seule richesse, le bois, pour devenir pionnier dans l’architecture et la construction durable. De même la métropole turinoise tisse non sans succès de multiples liens entre la ville et les zones agricoles pour promouvoir une agriculture de proximité et de qualité.
Dans le train qui me ramenait dans mon village, je pensais à cette autre réalité des campagnes, même proches de l’agglomération parisienne, avec des villages qui s’appauvrissent, sans projets innovateurs et dont une grande partie de la population en est réduite à manifester sa désespérance en votant à plus de 40 % pour le Front national. Ces nouveaux concepts d’économies circulaire, collaborative et du savoir sont-ils adaptés à cette fracture sociale qui ne cesse de s’élargir ? Des start-ups à la campagne, c’est bien. Mais comment récupérer ceux, nombreux, qui sont restés sur le bord de la route ?
La campagne à la ville !
Alphonse Allais voulait construire les villes à la campagne car l’air y est, disait-il, plus pur. Un siècle plus tard, c’est l’agriculture qui revient en ville. Car le phénomène n’est pas nouveau. Le quartier du Marais à Paris a nourri en légumes les Parisiens pendant des siècles et les jardins ouvriers, lancés par l’abbé Lemire au début du 20ème siècle, pour éloigner les ouvriers des cafés, ont longtemps donné un air de campagne à la ville. C’est l’époque moderne qui a cloisonné les choses. Mais, si la dernière vache a quitté Paris, en 1971, il existe toujours une ferme à Paris, au bois de Vincennes, avec 5 hectares consacrés à l’expérimentation du bio. Aujourd’hui, ce retour de l’agriculture urbaine correspond à l’air du temps. Les conférences organisées sur ce thème par la mairie de Paris attirent à chaque fois plus de 700 participants. Le monde agricole n’est plus aussi indifférent au phénomène. Ainsi la Société des Agriculteurs de France et Sol et Civilisation ont organisé en début de semaine un colloque « L’Agriculture intra-urbaine, une agriculture comme les autres ? » Pas encore tout à fait, est-on tenté de répondre, tant le foncier pèse lourdement et les contraintes y sont multiples. Mais les projets se multiplient. Ainsi les toits des Galeries Lafayette produisent fraises et plantes médicinales. Dans Paris intramuros, on recense actuellement 111 jardins potagers (soit 6 hectares) et l’objectif des édiles pour 2020 est d’arriver à une centaine d’hectares de toitures et de façades végétales dont un tiers consacré à l’agriculture urbaine. Attention, toutefois, à ne pas privilégier une agriculture à très hautes technologies, déconnectée de la terre et produisant des fraises à 70 € le kilo, pour bobos en mal de nature ! Paradoxalement l’agriculture est facteur de lien social en ville, tandis que le lien social se délite dans nos villages. Et le miel y serait de meilleure qualité ! Tout fout le camp, mon bon monsieur Allais !
D’une manif à l’autre…
Depuis quelques décennies, pour mieux se faire entendre les agriculteurs se mobilisent sur le pavé parisien. La première grande manifestation dans la capitale date du 23 mars 1982. A l’époque, 100 000 agriculteurs manifestent à l’initiative de François Guillaume contre la volonté d’Edith Cresson de reconnaître le pluralisme syndical. La manifestation est plutôt un succès, ce qui amènera François Mitterrand à remplacer Edith Cresson par Michel Rocard, au poste de ministre de l’Agriculture. Plus fondamentalement, cette manifestation marque un changement dans les modes de revendications des paysans, avec l’attention portée, dans une société de plus en plus médiatisée, à l’image publique du monde agricole et le souci de se montrer aux citadins selon les normes de la civilité urbaine, en évitant tout dérapage. Par la suite d’autres grandes manifestations témoigneront de manière encore plus éclatante le souci du dialogue avec les citadins, dans un style festif avec, d’abord, la Grande Moisson organisée en 1990, par les Jeunes Agriculteurs, puis le Dimanche des Terres de France, qui, en 1991, à l’initiative de Raymond Lacombe, mobilisera 300 000 ruraux sur le pavé parisien, sous le mot d’ordre « Pas de pays sans paysans ». Plus controversées seront, au début des années 2010, les manifestations de céréaliers, et notamment ce projet de blocus de Paris organisé par les céréaliers d’Ile-de-France, le 21 novembre 2013. La manifestation de la semaine dernière est plus dans la tradition de celle de 1982, avec toutefois quelques différences notoires : plus de tracteurs et moins de manifestants, un soutien plus appuyé de la part de l’opinion publique et la contestation qui s’est manifestée au sein de la FNSEA, à la suite des mesures gouvernementales, saluées par Xavier Beulin. Fait inimaginable en 1982, sous François Guillaume !
Décès de Johannes Nitschke, ancien maire de Grasleben
Johannes Nitschke s’en est allé le 18 juillet 2015, à 73 ans. Il avait été longtemps maire de Grasleben et de la Samtgemeinde (sorte de canton regroupant quatre autres communes proches de Grasleben), et avait été l’initiateur en Allemagne du jumelage avec le Canton d’Oulchy-le-Château. Je l’avais rencontré la première fois en septembre 1980. J’étais arrivé un peu en retard. Son premier geste avait été de me faire remarquer avec autorité, tapant du doigt sur sa montre, mon retard. Je m’étais dit en moi-même : « C’est mal parti ». Et puis, au fil des mois et des années, nous avons appris à nous connaître. Il ne parlait pas français, je bredouillais la langue de Goethe, mais nous nous comprenions. En plus de trente ans de collaboration, nous avons appris à nous apprécier et avons bâti ensemble un des plus beaux fleurons de la vie associative dans le canton d’Oulchy-le-Château, une terre tragiquement marquée par les deux conflits mondiaux, et dans la Samtgemeinde de Grasleben, jusqu’en 1989, située aux confins du Rideau de fer, qui séparait les deux Allemagnes. En un peu plus de trois décennies, plus de 300 jeunes Français et autant de jeunes Allemands ont participé à des échanges.
Johannes était catholique pratiquant dans une région à 80 % protestante. Il a assisté souvent avec son épouse à la messe dominicale en l’église d’Oulchy-le-Château. Avec les catholiques de son village, il avait construit l’église Saint Norbert de Grasleben. Et lors d’une de ses premières venues en France, il avait souhaité visiter l’abbaye de Prémontré dans la forêt de Saint-Gobain, là où Norbert de Xanten (originaire de Rhénanie du Nord) avait fondé l’Ordre des Prémontrés, appelé aussi les Norbertins.
J’ai parfois pensé que Saint Norbert y était peut-être pour quelque chose dans notre jumelage, tant il faisait le lien entre nos deux régions. La mère de Norbert descendait des Comtes de Guise et appartenait à la noblesse picarde du Vermandois. Après la fondation des Prémontrés, Norbert fut nommé archevêque de Magdebourg, non loin de Grasleben. Entre Magdebourg et Saint-Gobain, Norbert avait mené des missions pastorales dans cette Europe de la spiritualité médiévale, de la Picardie à la Saxe en passant par les Flandres, le Brabant et la Hollande.
Là où il est désormais, je crois que Johannes doit raconter à Saint Norbert ces lieux qu’il a visités huit siècles après ce prélat, européen avant l’heure.
A propos de nos prêtres venus d’Afrique ou d’ailleurs
J’aime l’Afrique, ses paysages et ses déserts, ses marchés multicolores de fruits tropicaux et d’épices, ses arbres à palabres, souvent des baobabs, où, le soir, à la fraîcheur tombante, l’on se réunit pour refaire le monde. J’aime les Africains, leur sens de la famille, du partage, de l’hospitalité et de la solidarité, le respect dû aux plus anciens, le courage et l’élégance des femmes, le sourire et la joie de vivre des enfants et, bien sûr, l’accueil qui y est toujours incroyablement chaleureux. Tellement chaleureux que l’on se sent parfois gêné, quand les plus humbles vous accueillent à leur table et vous offrent le meilleur de ce qu’ils ont. Alors j’imagine le choc culturel quand un prêtre venu d’Afrique ou d’ailleurs débarque dans nos contrées, à la sociabilité différente, avec des églises souvent désertées, des paroissiens parfois exigeants, le climat rude, les courtes journées (ou les longues soirées) d’hiver…
Force est de constater que les plus chaleureux d’entre nous sont loin d’être à la hauteur de l’accueil tel qu’il est pratiqué en Afrique. Sans parler de certaines remarques désobligeantes voire mesquines ou encore l’expression d’un sentiment de supériorité, d’ailleurs plus du ressort de la maladresse que de la volonté de nuire. Et parfois nos exigences quant à la disponibilité du prêtre !
Imaginons un instant l’emploi du temps de ces prêtres en charge jusqu’à une quarantaine de clochers, avec, chaque semaine beaucoup de kilomètres à parcourir, trois ou quatre messes le week-end, dans des villages où, parfois, l’on compte les participants sur les doigts des deux mains quand ce n’est pas d’une seule main, les demandes des uns et des autres, le tout après une semaine de cours intensifs dans une université où il faut souvent travailler tard dans la nuit pour rendre un devoir le lendemain ou écrire son mémoire. D’ailleurs la possibilité qu’ils ont de pouvoir suivre une formation universitaire durant les trois dernières années de leur présence parmi nous n’est qu’une modeste contribution à ce qu’ils nous apportent, pour rendre l’échange un peu plus équitable.
Avant toutes choses, ne devrions-nous pas nous réjouir d’avoir un prêtre ? Car, sans ces prêtres venus d’Afrique, nous n’aurions sans doute plus de messes dominicales dans bon nombre de nos paroisses rurales.
Et puis, réjouissons-nous de cette chance qui nous est offerte, de cheminer dans une foi commune et partagée avec des origines, des cultures et des cheminements parfois différents, dans cette découverte de l’autre et cette richesse de l’échange.
Sachons en profiter !
Séquence nostalgie…
Le hasard de la vie associative m’a amené ces derniers jours à Colombey-les-Deux-Eglises, village longtemps le plus célèbre de France, qu’avait choisi d’habiter en 1934 Charles de Gaulle et sa famille. « Il reflétait ce paysage et ce paysage le reflétait », dira Jacques Chaban-Delmas, tant ce paysage austère, grandiose et triste de Haute-Marne lui ressemblait. Homme d’armes, le fondateur de la Vème République était aussi un homme de terre. Homme de plume, il a écrit de très beaux textes sur la terre de France, dont celui-ci bien connu sur sa région d’élection : « Cette partie de la Champagne est tout imprégnée de calme : vastes, tristes et frustres ; bois, prés, cultures et friches mélancoliques ; reliefs d’anciennes montagnes très usées et résignées, villages tranquilles et peu fortunés, dont rien, depuis des millénaires, n’a changé l’âme ni la place ». Mais rien à voir avec la terre qui ne ment pas de Pétain ! De Gaulle a été celui qui a le plus réformé l’agriculture, l’ouvrant à l’Europe, l’insérant dans la modernité, en s’appuyant sur les jeunes agriculteurs contre la vieille garde du syndicalisme issue de la Corporation paysanne de Vichy qui le lui rendit bien, en l’obligeant à un second tour lors des présidentielles de 1965.
Séquence nostalgie donc, que ce retour à travers ce lieu sur cette période, qui affichait des taux de croissance que l’on ne retrouvera plus, et où la politique traitait du long terme, ne se réduisait pas à de la communication, nous permettait d’élire des résistants et des rebelles, nous offrait une dimension presque sacralisée du pouvoir, et où quitter le pouvoir prenait des allures de drame shakespearien. Est-ce pour cette raison, que le seul des chefs d’Etat de la planète à posséder aujourd’hui un tel charisme n’est autre que le patron du Vatican… ? Il est vrai qu’il n’a pas à faire campagne pour sa réélection !
OGM et démocratie…
Récemment j’ai été invité à exprimer ma vision des OGM (organismes génétiquement modifiés) auprès d’un groupe de travail de l’Institut des biotechnologies végétales, composé de chercheurs et de responsables d’organismes très engagés en faveur des OGM. Je trouvais la démarche intéressante et notais avec satisfaction l’esprit d’ouverture qui les animait. Observateur de l’évolution de l’agriculture depuis plus de trois décennies, j’avais un regard un peu différent voire décalé, à la fois admiratif des prouesses scientifiques – j’avais notamment en souvenir cette journée passée au milieu des années 1980 avec les chercheurs de Plant Genetic Systems, une société de biotechnologies belge, installée au sein de l’université de Gand, et qui, la première, avait réussi le transfert d’une bactérie dans le patrimoine génétique d’un plant de tabac -, mais aussi, par la suite, interrogatif, non seulement sur les conséquences sur le temps long, en termes de santé publique, mais aussi environnementales, économiques, sociales et juridiques, celles notamment liées à la brevetabilité du vivant (que je considère comme l’un des plus grands scandales de notre époque) et à la dépendance accrue des agriculteurs vis-à-vis des firmes de l’agrofourniture.
Au fil des années, j’avais suivi ce dossier avec beaucoup d’intérêt, déçu aussi par la tournure des événements, notamment l’incapacité de faire dialoguer ensemble de manière sérieuse et sans invectives partisans et opposants aux OGM, malgré la conférence de citoyens. Beaucoup dans le monde de la recherche considèrent que le citoyen lambda est incapable de comprendre la subtilité de ces nouvelles technologies. C’est sans doute ce mépris pour la démocratie et les citoyens, qui a fait capoter dans l’opinion publique les OGM. Car, dans les années 1980, la voie semblait largement ouverte à ces nouvelles technologies. A l’époque, les écologistes et les militants de la Confédération paysanne ne manifestaient pas d’oppositions marquantes aux OGM, considérant qu’ils pouvaient contribuer à faire baisser l’utilisation des pesticides.
Alors pourquoi ce basculement au milieu des années 1990 ? Il y a certes le contexte : le sang contaminé, la vache folle, l’amiante, Tchernobyl, les salmonelloses, avec, trop souvent, ces postures plutôt cavalières d’experts pétris de certitudes, assénant bien souvent des contre-vérités. Quant aux entreprises de biotechnologies, elles sont également en grande partie responsables du basculement de l’opinion. Elles montraient trop souvent une certaine arrogance, pour non pas proposer mais imposer leurs vues, n’hésitant pas à mettre en avant le fait que les biotechnologies allaient résoudre le problème de la faim dans le monde. Une malhonnêteté intellectuelle, lorsque l’on sait que le problème de la faim dans le monde n’est pas un problème technique mais un problème économique et social de redistribution. Il y avait aussi la suffisance de beaucoup de chercheurs face à ceux de leurs collègues qui se posaient des questions. En approchant comme journaliste le monde de la recherche, il y a trois décennies, je ne m’attendais certes pas y trouver l’état d’esprit des salons littéraires des siècles passées, la mondanité en moins, mais je ne m’attendais pas non plus à découvrir une concurrence exacerbée entre chercheurs et les mêmes formes de violence que dans le monde de l’économie.
Dans ce contexte, j’étais tenté d’accorder ma confiance plutôt à un chercheur qui prend des risques pour sa carrière en exprimant des réserves à propos de ces nouvelles technologies, que son collègue ne manifestant aucun doute et dénigrant jusqu’à la caricature l’attitude rebelle des sceptiques. Dans le même temps, j’étais mal à l’aise face aux fauchages de champs d’expérimentation.
Malgré un regard bien différent que celui de mes interlocuteurs, le dialogue s’est bien passé, du moins jusqu’à ce que je leur lise en guise de conclusion le texte d’un chercheur de l’INRA, publié en 1992 dans la très savante revue Le courrier de l’environnement de l’INRA. L’auteur écrivait : « Dans le domaine du génie génétique comme par le passé dans d’autres, les mêmes principes, construits à partir des mêmes postulats simplistes, risquent d’aboutir à un système fermé sur lui-même où toutes les déviations pourraient donc survenir », avant de préciser, de manière ironique, les quatre postulats qui guident le travail des chercheurs :
« 1/ Le génie génétique est une science complexe où, seuls, les quinze chercheurs spécialistes comprennent de quoi ils parlent. Cette science n’est pas compréhensible par le commun des mortels.
2/ La population s’inquiète de cette science, il ne faut donc pas en parler.
3/ La recherche travaille dans l’urgence. Chaque jour a son importance dans la lutte contre les dépôts des brevets.
4/ Quiconque souhaite un débat sur le contrôle du génie génétique, veut en fait la mort de cette science. »
Mes interlocuteurs dirent être d’accord à 100 % avec ces postulats et signer des deux mains ce texte, oubliant le ton ironique de l’auteur. Je les quittais donc un peu déçu et conforté dans mon regard critique de citoyen exigeant…
La CUMA de Breny souffle ses 50 bougies
En mai 2015, la CUMA de Breny fête ses cinquante ans. Retour avec l’un des fondateurs, René Lefèvre, sur les origines de cette coopérative de proximité qui permet à des agriculteurs d’acheter du matériel en commun et de travailler ensemble.
Les CUMA (Coopératives d’utilisation de matériel agricole) sont nées à la Libération, à l’initiative de François Tanguy Prigent, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement du gouvernement du général de Gaulle. A l’époque les tracteurs étaient rares et distribués prioritairement dans le cadre du Plan Marshall aux prisonniers de guerre et aux adhérents des CUMA. D’où la création de nombreuses CUMA à la Libération, dont bon nombre seront bidon. Par la suite la situation s’est assainie et la « révolution silencieuse » des années 1960 a permis le développement des CUMA en France.
C’est dans ce contexte qu’à l’initiative d’agriculteurs de Breny et d’Armentières-sur-Ourcq est née l’idée de créer une CUMA. « En 1960, raconte l’un des fondateurs, René Lefèvre, qui présidera pendant vingt-sept ans la CUMA de Breny, Emile Bocquet, agriculteur à Armentières, est venu me voir ; il avait des problèmes de santé et souhaitait qu’on puisse effectuer ensemble l’arrachage de betteraves. J’en ai parlé à mon frère, Roger Lefèvre, et à Roger Vernier. Nous avons décidé ensemble d’acheter une chargeuse à betteraves et un pulvérisateur en copropriété. En 1965, l’arrivée d’un quatrième adhérent, Lucien Breton, agriculteur à Breny, nous a permis de constituer une CUMA, la seconde dans l’Aisne. Il est vrai qu’à l’époque créer une CUMA n’était pas très bien vu par les organisations agricoles, en particulier dans l’Aisne. Nous étions considérés un peu caricaturalement comme des collectivistes, le président de la Chambre d’agriculture de l’époque nous avait dit que nous étions des courrois de transmission du Parti communiste. Heureusement depuis, les esprits ont évolué. »
« Pourtant nous avons été pionniers, poursuit René Lefèvre, en établissant un partenariat avec l’Institut technique de la betterave et le syndicat betteravier pour mettre en place un chantier pilote de récolte de betteraves avec du matériel en location sur deux années. Matériels que nous avons achetés par la suite. De même, nous avons été les premiers dans la région à expérimenter un semoir de précision monograine, évitant ainsi le travail de démariage des betteraves. »
Dans les années qui vont suivre, deux agriculteurs de La Croix-sur-Ourcq, Jean-Guy Le Roux et Pierre Dupuis ont rejoint la CUMA, puis d’autres comme la communauté des Frères Missionnaires des Campagnes au prieuré de Montigny. Le parc de matériels s’est élargi, notamment avec l’acquisition d’une moissonneuse batteuse et d’une presse haute densité pour la moisson, ainsi que d’une ensileuse pour l’ensilage du maïs. « Nous sommes restés longtemps une quinzaine d’adhérents très soudés, poursuit René Lefèvre. Nous avions à l’époque en fonds de roulement un an d’avance. Ce qui nous permettait de ne facturer les travaux que l’année suivante. Nos prestations étaient 50 % inférieures à celles des entreprises de travaux agricoles. Cela permettait à des petites ou moyennes exploitations, dans un contexte parfois difficile de passer le cap plus facilement. »
« Présider une CUMA est une tâche très prenante, qui demande beaucoup de disponibilité et suppose d’être en lien constant avec tous les adhérents », souligne René Lefèvre qui, en 1992, passe le relais à Jean-Pierre Bocquet, qui demeure aujourd’hui encore la cheville ouvrière de la CUMA, même s’il n’en est plus le président (le président actuel est Antoine Tassart). A l’époque, le projet d’acheter une automotrice pour l’arrachage des betteraves est dans l’air. Mais la défection de jeunes agriculteurs ne l’a pas permis, du moins dans un premier temps. Les travaux furent réalisés durant quelques années par un entrepreneur de travaux agricoles, avant l’acquisition au début des années 2000 d’une automotrice. Depuis la CUMA de Breny a abandonné le chantier de récolte de betteraves.
Au cours des dernières années, le nombre d’adhérents a fortement augmenté, une cinquantaine, bien au-delà de la région de Breny, dont beaucoup pour un seul outil. De même le parc de matériels s’est diversifié. Quant à l’avenir, comme beaucoup de structures collectives qui vont à contre-courant du mouvement général de la société marqué par l’individualisme, ce sont les nouvelles générations qui, en s’engageant plus activement qu’elles ne le font aujourd’hui dans la vie de ces structures, pérenniseront ou non la CUMA de Breny et en feront ou non, dans vingt-cinq ans un septuagénaire alerte !
Heureux comme Dieu en France
Il y a tant de raisons de désespérer, dans ce monde qui accumule les tristes nouvelles, dans cette société qui s’invente des stars qui n’ont rien à nous dire, qu’il faut de temps en temps savoir s’émerveiller sur l’essentiel. La semaine dernière, à deux reprises, je fus émerveillé pour mon pays. D’abord avec l’entrée au Panthéon de ces quatre figures marquantes de la Résistance : l’ethnologue Germaine Tillion, l’ex-présidente d’ATD Quart-Monde, Geneviève de Gaulle Anthonioz, le journaliste, Pierre Brossolette, et le ministre de l’Education nationale du Front populaire, Jean Zay. Quatre parcours divers qui témoignent de ce qu’il y a de meilleur en l’homme.
Souvent, comme beaucoup de gens qui n’ont pas connu cette tragique période, je m’interroge : « qu’aurais-tu fait alors ? », avant de me demander : « et que fais-tu aujourd’hui ? ». Car ne sommes-nous pas si peu « résistants » lorsque nous affichons une certaine indifférence devant l’accueil des naufragés de Lampedusa, le massacre des chrétiens d’Orient ou l’extrême pauvreté des laissés pour compte de nos sociétés… Le courage de ces résistants nous revient alors en pleine figure comme une salutaire leçon d’humilité.
Le lendemain, France 2 proposait l’émission Des paroles et des actes, pour une fois sans invités politiques. Si les témoignages de ces acteurs de la société civile partaient parfois dans tous les sens, la somme donnait une certaine idée de la France d’aujourd’hui, de ses atouts nombreux qu’on a tendance à négliger. Il y eut notamment cette émouvante déclaration d’amour à notre pays du journaliste britannique vivant en France, Alex Taylor, qui, craignant que la Grande-Bretagne ne quitte l’Union européenne, a demandé la nationalité française. Je repensais alors à cette formule des Juifs ashkénazes d’Europe centrale au 19ème siècle « Heureux comme Dieu en France », comme un salut au pays qui, le premier, avait décrété l’émancipation des Juifs. Bref, ces derniers jours, j’étais fier d’être français !
La folle course aux prix bas
Un an à peine après avoir interpellé le Premier ministre, les industriels de l’agro-alimentaire viennent de publier une tribune à charge contre la guerre des prix au niveau de la grande distribution, risquant d’entraîner des difficultés voire la fermeture de bon nombre de petites et moyennes entreprises. Ce n’est pas nouveau. Depuis les années 1970 de forte inflation, les pouvoirs publics, les yeux rivés sur l’indice des prix, ont encouragé la grande distribution dans un pays aux traditions paysannes et latines fortes et qui, dans son échelle des valeurs, plaçait le producteur loin au-dessus du commerçant. Depuis le rapport de forces a nettement tourné à l’avantage de la grande distribution : une poignée de centrales d’achats contre un peu plus de 15 000 entreprises, pour la plupart des PME !
« Savez-vous quelle est la différence entre un terroriste et un patron de supermarché ? » m’avait un jour demandé un industriel ; il ajoutait : « Vous pouvez négocier avec le terroriste. » En l’an 2000, un expert-comptable, Christian Jacquiau, publiait Les coulisses de la grande distribution, dans lequel il dénonçait des méthodes de mafieux, violant le cadre législatif pourtant fait sur mesure pour eux, lorsque leurs intérêts se trouvaient menacés. On se souvient aussi du témoignage de Michel Charasse mettant à la porte le démarcheur d’une grande enseigne qui voulait s’implanter dans sa ville, une valise de billets à la main pour faciliter la négociation ! D’année en année, la marge de la grande distribution n’a pas cessé de progresser au détriment de celles de l’agriculteur ou de l’industriel, mais pas forcément au bénéfice du consommateur. L’actuelle guerre des prix ne rapporterait que quelques centimes d’euros par semaine aux consommateurs ! Faut-il dès lors s’étonner d’un taux de chômage très élevé et d’une désindustrialisation alarmante du pays ?, doit s’interroger le citoyen.
La bonté, ça se cultive
Comme antidote à la tristesse de l’actualité avec cette succession d’attentats, de crashs, de cyclones… je suis tombé ces derniers jours sur un réconfortant dossier du magazine La Vie (12-18 mars) : « Etre bon, ça fait du bien… ». Il y a deux ans, le moine bouddhiste, Matthieu Ricard, face à ce monde où l’on ne nous demande plus d’être bons, mais d’être efficaces, avait fait l’apologie de l’altruisme, dans un livre de 900 pages. Depuis des années, le botaniste Jean-Marie Pelt nous montre, à contre-courant de la darwiniste « loi de la jungle », la solidarité chez les plantes. Dans ce dossier de La Vie, on découvre le témoignage de Pierre Jouventin, ethnologue, qui a adopté une louve, soucieuse de la protection de sa famille adoptive comme elle le serait avec sa meute. On apprend aussi que les trop rares expériences de pédagogies coopératives dans les écoles favorisent l’apprentissage et augmentent le niveau moyen des élèves. On apprend encore grâce aux neurosciences, que, nous les humains, on peut s’entraîner à développer nos capacités à la compassion, comme on entretient sa mémoire. Bref, la bonté, cela s’apprend et cela se cultive, comme en témoigne ce prêtre, père blanc et anthropologue, Bernard Hugeux, auteur de La Compassion, j’y crois (Bayard), qui a pu expérimenter qu’en se détachant de son ego, on se prédispose à l’amour. « Je crois, précise-t-il, que la capacité d’amour de l’être humain est plus forte que tout, même si elle n’a pas la visibilité dont jouit la violence ». Le pape François, l’une des rares figures rebelles dans ce monde de brutes, n’a-t-il pas montré l’exemple en faisant visiter la semaine dernière la chapelle Sixtine à 150 SDF de Rome ! « Tous ceux que j’ai connus pour être vraiment heureux avaient appris comment servir les autres », avait déclaré, en 1935, Albert Schweitzer. Belle leçon, en ces temps où le printemps des bonnes nouvelles tardent à éclore !
Le député qui marche
Le hasard des lectures m’a amené à lire Voyages en France de l’agronome anglais Arthur Young, périple qu’il a effectué à cheval juste avant la Révolution française, puis A la rencontre des Français de Jean Lassalle, le député qui marche. 224 ans séparent les deux démarches, et pourtant on perçoit un même sentiment de précarité, une même coupure entre les élites et le peuple, la fin de l’Ancien régime avec Arthur Young, l’une des plus grandes mutations de tous les temps avec Jean Lassalle. Ce dernier, ancien berger, fin lettré (adolescent, il a lu les philosophes de la Grèce antique), a été technicien agricole, puis le plus jeune maire de France, et s’est fait connaître par une grève de la faim contre la délocalisation d’une usine de sa vallée. En 2013, pendant huit mois, ce député atypique et courageux, qui considère que sa fonction d’élu est « charge et non privilège », a parcouru à pied 5 000 kilomètres à la rencontre des Français dans un pays « qui a peur et qui n’a plus confiance en rien ni personne ». Un acte citoyen, dit-il. Il a écouté des paysans et des artisans, des maires et des enseignants, des industriels et un évêque, les anciens de Conti et de Florange ainsi que les bonnets rouges. L’un des témoignages les plus surprenants, c’est ce préfet, en fin de carrière, venu à l’abri d’un bosquet exprimer son scénario catastrophe : une hausse des taux d’intérêt, l’impossibilité de payer les fonctionnaires et le RSA, des millions de Français dans les rues, la dissolution de l’Assemblée nationale et 250 députés du Front national élus… On termine le livre d’Arthur Young avec la Révolution française. Celui de Jean Lassalle se clôt par la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789. La boucle est bouclée. Dans deux semaines, les départementales et une nouvelle secousse en perspective ! Au moins, à la lecture du livre de Jean Lassalle, on saura pourquoi.
Jean Lassalle – A la rencontre des Français – cherche midi – 17,00 €
Arthur Young – Voyages en France – texto – 11,00 €
La tolérance plutôt que la violence…
D’Al Qaida à Daech, en passant par les actes terroristes des dernières semaines dans Paris, l’islamisme radical nous fait oublier que l’Islam a pu être au Moyen-Age (et peut l’être encore) synonyme d’un niveau de civilisation élevé, tandis qu’à la même époque, l’Occident chrétien se lançait dans l’aventure périlleuse et souvent violente des Croisades. Ainsi l’exemple de l’Espagne, en grande partie conquise depuis 711 par les Omeyyades (que Charles Martel stoppera à Poitiers en 732), avec cette civilisation hispano-musulmane plutôt tolérante et brillante, comme en témoigne au XIème siècle la ville de Cordoue, cité du médecin, philosophe et théologien Averroès, avec ses éclairages publics et son tout-à-l’égout, sa première école de médecine où Avicenne mènera ses travaux sur la méningite et la pleurésie, et sa bibliothèque de plus de 400 000 ouvrages (la plus grande à l’époque en Occident). C’est d’ailleurs grâce aux traductions arabes que les universités européennes découvriront la tradition grecque. Dans l’agriculture, la Conquista a apporté l’alambic et la rose de Damas, l’aubergine et la laitue, le melon et l’artichaut, le cheval berbère et le mouton maghrébin, ancêtre du mérinos qui fera au XVIème siècle la richesse du royaume d’Espagne. Aux Xème et XIème siècles, des agronomes musulmans andalous vont développer l’irrigation et l’art des jardins, expérimenter le travail méticuleux du sol et adapter de nouvelles cultures dont le riz, le cotonnier, la canne à sucre et les agrumes. Pionniers de la recherche agronomique, ils seront les promoteurs du développement durable, prônant le respect des équilibres naturels. Parmi ces agronomes, le plus célèbre, Ibn Al-Awwâm, est l’auteur d’un volumineux Livre de l’agriculture qui recense, quatre siècles avant Olivier de Serres, toutes les connaissances agronomiques de l’époque et servira longtemps de référence. Au XIXème siècle, l’administration coloniale française s’inspirera de cet ouvrage pour mettre en valeur l’agriculture algérienne.
Adieu Cabu
Je connaissais un peu Cabu. Je l’avais rencontré, une première fois, en 2010, au siège de Charlie Hebdo, après la traditionnelle conférence de rédaction du mercredi matin. A l’époque j’écrivais Les Combats de l’abbé Pierre et je savais qu’il avait de l’affection et de l’admiration pour l’action et les valeurs que portait ce curé humaniste et anticlérical. Je trouvais intéressant d’aller un peu plus loin, tant les deux hommes semblaient a priori si éloignés l’un de l’autre. Au téléphone, il m’avait dit qu’il n’aimait guère les interviews, qu’il s’exprimait surtout par le dessin, mais que l’on pouvait néanmoins se voir et qu’à l’occasion il me prêterait ses dessins sur l’abbé Pierre. De fait il me confiera l’ensemble de ses dessins, sans demander de droits d’auteur à l’éditeur. Une vingtaine de ses dessins seront publiés dans les Combats de l’abbé Pierre. Lors de cette première rencontre, j’avais la boule au ventre à l’idée de rencontrer ce génie de la caricature, ce monument du journalisme, ce Daumier du XXIème siècle. Très vite, je découvrais un personnage plutôt timide, humble, respectueux, ce qui me rendait moins angoissé. Plus tard je lui avais envoyé mon manuscrit et proposé qu’ensemble nous choisissions les dessins. Mais il était très pris par la publication d’un album. Lorsque le livre est paru, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant de Saint Germain des Prés. J’avais récupéré chez l’éditeur quelques exemplaires qui lui étaient destinés. Avant d’entrer dans le restaurant, un passant qui l’avait reconnu sur le trottoir, avait entamé la conversation ; Cabu lui avait donné l’un des exemplaires que je lui avais apporté. Généreux, il était d’une gentillesse rare, et s’il pouvait être féroce dans ses caricatures, il manifestait une disponibilité et un profond respect pour les gens qu’il rencontrait, quels qu’ils soient. Modeste, il avait une vaste culture, était curieux de tout. Très vite, nous nous sommes retrouvés dans une admiration commune à l’égard de René Dumont. Il était administrateur de la Fondation René Dumont et m’avait encouragé à prendre contact avec le délégué de la Fondation pour l’écriture d’un livre sur l’histoire de l’écologie. En juin 2011, nous nous étions retrouvés à l’Agro de Paris, dans l’amphithéâtre Tisserand où la Fondation commémorait le dixième anniversaire de la mort de l’agronome tiers-mondiste et écologiste. A la fin de la réunion, il était resté seul dans l’amphithéâtre où avait enseigné René Dumont, et avait dessiné sur son carnet cet endroit, pour un prochain dessin dans Le Canard enchaîné.
Rosetta, l’enchanteresse
Le couple de l’année 2014, c’est, pour moi, la sonde européenne Rosetta et son atterrisseur Philae. Tous deux nous ont émerveillés ce 12 novembre dernier. Lancée le 2 mars 2004, la sonde a parcouru 6,5 milliards de kilomètres, soit 18 kilomètres par seconde, frôlant trois fois la Terre, pour mieux s’élancer, croisant deux astéroïdes avant de déposer ce robot d’un quintal, bardé d’instruments sophistiqués, sur cette comète, à la forme d’une patate de glace d’environ 4 kilomètres sur 5, qui renferme bien des secrets de notre système solaire. En effet l’eau à l’état de glace et les molécules n’ont pas été transformées durant 4,5 milliards d’années. En ce siècle par bien des aspects désenchanteurs, marqué par des changements brutaux, l’accélération du temps et un regard trop centré sur le court terme, l’éphémère, le rendement immédiat, cet événement aura été l’un des plus enchanteurs de l’année. Il est le fruit de ce que l’homme peut produire de meilleur mêlant patience et passion, ingéniosité et ambition, comme ces bâtisseurs qui, au Moyen Age, ont construit les cathédrales sur parfois plus d’un siècle ou ces navigateurs, tels Magellan ou Christophe Colomb, à la découverte de terres inconnues. Ou encore Champollion qui, au XIXème, a déchiffré les hiéroglyphes, et à qui l’on doit les noms de Rosetta (la pierre de Rosetta) et Philae, nom d’un obélisque. Rosetta nous relie à cette filiation prestigieuse, dans la vision sur le long terme et cette quête de la connaissance. L’Agence spatiale européenne (certes indépendante des institutions européennes) nous montre que le Vieux Continent peut parfois susciter d’ambitieux défis, comme ce projet concocté il y a plus de trois décennies, soit une éternité pour les hommes pressés que nous sommes devenus. Depuis Rosetta poursuit son périple autour de la comète et Philae s’est endormi mais pourrait se réveiller au printemps. Que 2015 nous émerveille !
Annus horribilis : troisième épisode
Comme une étoile filante, mais dans un ciel si peu étoilé, chargé d’humidité comme pour dire sa tristesse, Marie-Luce, voisine et amie, s’en est allée brusquement, une semaine juste avant Noël. Elle aimait cet environnement lumineux et merveilleux, coloré et enguirlandé, entourant Noël qu’elle préparait joyeusement avec les enfants de l’école d’Oulchy où elle était assistante scolaire. Elle avait entamé la cinquantaine avec du dynamisme à revendre, une folle envie de vivre et, il y a encore à peine trois mois, des tas de projets en tête, notamment de voyages. Elle savait sa maladie incurable et masquait ses souffrances par de l’humour, tendance franche rigolade, pour protéger ses proches. Fatiguée, elle semblait infatigable. Grande gueule souvent en révolte, elle avait un caractère sans nuances, du genre déterminé, qui ne laissait pas indifférent ! Elle avait ce côté chef de troupe chez les scouts (qu’elle n’a jamais été). Lorsqu’elle donnait des cours d’équitation, on entendait ses ordres et ses remarques d’une voix perçante une centaine de mètres alentour. Elle possédait aussi cette force de conviction à vous embringuer dans des aventures que vous n’auriez jamais imaginées. Comme cette randonnée à cheval autour des lacs du Jura en juin dernier, cinq mois à peine avant son décès, avec sa fille Lucie et Marie-Christine, qui n’était pas vraiment prête pour ce genre d’aventures. Elle n’était pas croyante. Plutôt agnostique qu’athée, elle croyait aux forces de l’esprit et avait une foi inébranlable en la vie, que n’ont pas bien des croyants. Quelle belle leçon de courage et de joie de vivre, elle nous a donnée, particulièrement au cours des deux dernières années ! Comme un cadeau de Noël.
La femme est l’avenir de l’homme
Vandana Shiva, l’une des voix de l’altermondialisme, était en France, ces derniers jours, pour présenter son livre d’entretiens avec Lionel Astruc, Vandana Shiva, pour une désobéissance créatrice. Cette philosophe indienne, docteure en physique quantique et adepte de Gandhi, née il y a 62 ans, aux pieds de l’Himalaya, est une militante écologiste de la première heure. Dès les années 1970, elle s’engage dans la lutte pour la préservation des forêts. Son combat prend une autre dimension, lorsqu’elle découvre en 1987 le projet d’industriels semenciers de breveter le vivant. Elle fonde à Dehradun, une ferme biologique, à la fois conservatoire de graines vivantes et centre de formation agro-écologiste, et défend le droit des peuples à définir leurs propres méthodes agricoles et leur système nourricier. Depuis elle n’a cessé de combattre ces multinationales qui la traitent de « dangereuse affabulatrice » et de « démagogue ». Prix Nobel alternatif, elle est aujourd’hui l’une des femmes à la fois les plus adulées et les plus décriées de la planète. Son combat ressemble beaucoup à celui mené, il y a plus de 50 ans, par la biologiste américaine, Rachel Carson, auteur d’un best-seller paru en 1962, Le Printemps silencieux, qui dénonçait les ravages occasionnés par le DDT sur la faune sauvage. Elle fut, elle aussi, attaquée par les industriels de la chimie, qui la traitèrent de « folle, à la solde du KGB ». Malgré tout ce livre aura une influence considérable dans l’émergence du mouvement écologiste et le DDT sera interdit d’utilisation aux Etats-Unis, puis en Europe, mais pas en Afrique. L’Afrique justement, celle de la Kényane Wangari Maathai, première femme africaine à obtenir le Prix Nobel de la paix, pour son action en faveur de la reforestation et son combat pour les droits des femmes, attaquée régulièrement par les autorités de son pays. Rachel Carson, Wangari Maathai, Vandana Shiva, trois femmes, trois destins qui illustrent bien cette maxime d’Aragon : « La femme est l’avenir de l’homme » popularisée par Jean Ferrat.
Annus horribilis : deuxième épisode
Fin septembre, mon curé, un béninois qui effectue actuellement une formation sur la communication et la médiation en entreprise à la Catho de Paris me demande de l’aider pour trouver un stage. Je me propose de contacter Emmaüs France. Au téléphone, mon interlocuteur, que je connais depuis quinze ans, m’annonce qu’Emmaüs recherche un délégué à la communication. Je pense en moi-même : c’est la providence ; en rendant un service à un ami, je découvre cette offre d’emploi qui, je le pense, me correspond totalement, moi qui cherche à donner du sens à ma vie professionnelle. Aussitôt, j’adresse mon CV directement à la déléguée générale d’Emmaüs-France, contournant ainsi l’agence gérant le recrutement, qui, vu mon âge avancé, me retoquera automatiquement. Après coup je lis tout de même l’annonce sur Internet. Une page dense d’un verbiage « marketing » à vous donner des migraines. La communication, avais-je appris, il y a bien longtemps, c’est éviter de faire compliquer quand on peut faire simple. Heureusement je n’avais pas lu l’annonce avant d’envoyer mon offre de service. Sans doute ne l’aurais-je pas envoyé si je l’avais lue. Malgré tout je suis convoqué et rencontre la déléguée générale et le président d’Emmaüs-France. L’entretien est cordial. J’ai même l’impression de mieux connaître le mouvement que mes interlocuteurs, fort des 300 ou 400 entretiens que j’avais eu au cours de cette année passée au sein des communautés Emmaüs. J’exprime un certain nombre d’idées, mais j’ai l’impression que mes interlocuteurs n’ont qu’une obsession : les réseaux sociaux. La déléguée générale me demande mon avis sur cette trouvaille d’une agence pour les réseaux sociaux le slogan « J’emmaüs », que je ne trouve pas génial du tout. Je me souviens alors de mes premières rencontres en 1999 avec le responsable de la communication, un bénévole en retraite, Jean-Louis Pouyer, qui faisait plutôt bien son métier. En quinze ans, comme le monde a changé. Là où il est désormais, l’abbé Pierre doit se dire : « Moi je faisais le job tout seul ! », et, dois-je ajouter, avec un immense talent. Un mois et demi plus tard, quelqu’un a été recruté. Mes interlocuteurs m’avaient promis une réponse dans un délai de deux semaines. Je n’ai jamais rien reçu. Amer constat ! Je me dis finalement qu’Emmaüs ne fait pas mieux que Tereos dans le domaine des valeurs ! Annus mirabilis !
Annus horribilis : premier épisode
Il est temps que l’année 2014 se termine. Annus horribilis, pour ce qui me concerne, sur le plan professionnel. Pourtant tout avait bien commencé. A peine, venais-je de remettre un manuscrit qu’un mail d’une agence me proposait d’écrire un livre sur le groupe coopératif sucrier Tereos. C’était fin février et l’on me proposait de rendre le manuscrit fin juin. Je dus freiner les ardeurs des promoteurs de ce projet ; un livre ne se fait pas en trois mois ! Mais quand on est indépendant dans une conjoncture si morose, on ne joue pas les finasseurs. Je rencontre les responsables de l’agence et le directeur de la communication du groupe. Je déclare mon enthousiasme pour le projet. Les premiers contacts sont positifs. On me fournit des tas de documents et on me demande de préparer un synopsis et un échéancier. Je prévois sept à huit mois pour l’enquête, les entretiens et l’écriture. Dans les semaines qui suivent, je travaille ardemment sur ce projet. Au bout des deux mois, sans nouvelles de mes interlocuteurs, j’appelle la personne en charge du dossier au sein de l’agence qui me répond : « Pas de soucis ; allez-y ; j’ai programmé le budget pour le second semestre ; quant au contrat, on verra avec Tereos fin juin, lorsque les assemblées générales locales seront terminées, ils seront plus disponibles ». Fin juin, toujours sans nouvelles, je décide d’appeler le directeur de la communication de Tereos, qui m’annonce sereinement que, depuis deux mois, le projet a été ajourné, faute de temps disponible de sa part. Il ajoute qu’il a prévenu l’agence dès que la décision a été prise. Furieux, j’appelle aussitôt mon interlocutrice à l’agence qui me répond : première nouvelle… Depuis je n’ai reçu aucun appel ni de l’agence, ni de l’entreprise. J’avais demandé que l’on me rémunère les deux mois de travail et les frais de déplacement, mais chacun des deux s’est contenté de rejeter la responsabilité sur l’autre. Pendant des mois, j’allais me retrouver bredouille, sans projets rémunérateurs, sans filet de sécurité, sans syndicat pour me défendre. Il n’y a pas d’indemnités chômage pour les auteurs indépendants. C’est travaille ou crève ! Et l’URSSAF vous attend au tournant, ne vous laissant le choix qu’entre établir un échéancier (mais quand on n’a aucune perspective !), attendre l’huissier ou demander le RSA… Impitoyable monde de l’entreprise ! Annus mirabilis !
L’agriculture comme art
C’est une belle ballade sensible, érudite et agreste que nous proposent l’agronome Louise Browaeys, fille de maraîchers, et le fondateur de ProNatura Henri de Pazzis dans leur ouvrage La part de la terre. Les auteurs s’inspirent des mythes antiques mais aussi de textes plus contemporains d’Albert Camus, de Gaston Bachelard ou de Jean Giono, pour nous raconter le plus beau métier du monde, celui de paysan, qui est « une part de la terre ». Pour les auteurs, le geste qui relie l’homme à la terre, et donc la main à l’intelligence, forme la pensée et le paysan est donc beaucoup plus qu’un producteur nourricier. De même l’agriculture ne se réduit pas à sa fonction de production, c’est aussi un « art des commencements ». « L’agriculture ordonnance le monde à mesure humaine », écrivent-ils. Le livre nous transporte dans cette fraternité secrète entre l’homme, la nature, l’outil, parfois source de tensions entre ager et silva, entre pastoralisme et culture végétale, mais fondateur de paysages et de civilisations. D’ailleurs homme, humus et humilité, notent les auteurs, ne dérivent-ils pas de la même origine étymologique ! Certes depuis un siècle, qui a vu disparaître neuf paysans sur dix, la machine a remplacé l’outil, la technique s’est imposée à la science, réduisant l’agriculteur à l’état de producteur. Au moment où je terminais la lecture de ce livre, la chaîne parlementaire proposait un documentaire sur les matières premières et les dérives de la spéculation. Deux mondes aux antipodes l’un de l’autre. Me revenait alors à l’esprit ce propos de Michel Tesseydou, éleveur dans le Cantal et ancien président du CNJA, cité dans le livre : « Ils (les consommateurs et sans doute les spéculateurs – ndlr) ne se rendent pas compte du peu d’argent que nous gagnons et du temps que nous passons à essayer de nourrir les autres », ajoutant : « Nous sommes des passionnés, donc des vaincus, donc des vainqueurs. » La part de la terre – delachaux et niestlé – octobre 2014 – 157 pages, 19 €.
La revanche des timides
Beaucoup ont salué le couronnement de nos deux lauréats du Nobel 2014, comme un pied de nez à tous ceux qui déplorent souvent avec suspecte délectation le déclin de notre pays. J’y vois aussi une revanche des timides et un éloge de la discrétion. Patrick Modiano, prix Nobel de littérature, et Jean Tirole, prix Nobel d’économie, ne prisent guère l’exposition médiatique. Malgré leurs succès passés, ils sont restés modestes. D’ailleurs le jury Nobel n’a pu les joindre ni l’un ni l’autre pour leur annoncer la bonne nouvelle. Patrick Modiano, à l’expression écrite si limpide et harmonieuse pour décortiquer la complexité des parcours humains en ces temps si troublés de l’Occupation, a bien du mal à terminer ses phrases devant les micros. Sans doute ce souci de la perfection dans l’écriture qu’il voudrait aussi dans l’expression orale ! Jean Tirole s’excusait presque de, sans doute, dire des bêtises devant les caméras de télévision, tant l’émotion qu’il ressentait alors était forte. Je les imagine bien tous deux, enfants, avoir le cœur battant trop vite quand il fallait frapper à la porte de la voisine pour demander un morceau de beurre, ou encore les joues couleur rouge pivoine lorsque leurs instituteurs les interrogeaient. Dans ce monde de l’exubérance médiatique, de l’esbroufe télévisuelle, de la parade permanente des prétentieux radoteurs extravertis qui s’accaparent les écrans, avec la seule envie d’exhiber leur égo… cela fait du bien de voir récompenser au plus haut niveau ces timides dont on apprécie la discrétion et les silences, et dont on découvre les richesses avec le temps. En fait l’histoire regorge de ces timides illustres. On évoque la timidité de ces meneurs d’hommes que furent Napoléon et Che Guevara ou de ces géants de la pensée comme Montesquieu qui confessait : « La timidité a été le fléau de toute ma vie » ou Jean-Jacques Rousseau, qui, dans Les Confessions, écrivait : « S’il faut agir, je ne sais que faire. S’il faut parler, je ne sais que dire. Si on me regarde, je suis décontenancé ».
Controverse !
La controverse autour de l’étable des mille vaches me rappelle celle plus ancienne, du début des années 1990, avec ce projet de construction dans la Marne d’un poulailler géant par l’industriel allemand Pohlmann. Deux projets agricoles de grande ampleur menés par des industriels. Si le poulailler géant avait fait l’unanimité contre lui, – le gouvernement de l’époque avait pris un décret limitant la taille des élevages avicoles faisant capoter le projet -, aujourd’hui, plus de vingt ans après, le contexte paraît bien différent. Bruxelles a démantelé les outils de régulation de la PAC. Les partis de gouvernement, qu’ils soient conservateurs ou sociaux-démocrates, sont acquis aux règles intangibles du libéralisme même pour l’agriculture, ce qui était loin d’être le cas auparavant. L’Allemagne, depuis la réunification, s’est métamorphosée en puissance agricole de premier plan. Le syndicalisme majoritaire très en pointe à l’époque ne s’oppose pas à ce projet. J’ai même entendu des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture reconnaître que ce projet était plus respectueux de l’environnement que les petites étables, et des techniciens laitiers le défendre ardemment devant des producteurs sceptiques. Il y a vingt ans, le poulailler Pohlmann apparaissait comme incongru dans le paysage agricole français. Aujourd’hui l’étable aux mille vaches semble impétueusement s’inscrire dans la logique des politiques économiques des gouvernements, de gauche ou de droite. Hier les opposants au poulailler faisaient l’objet d’un consensus. Aujourd’hui les opposants à l’étable font figure d’invétérés Gaulois, défiant l’ordre public et l’inéluctable « américanisation » de notre agriculture. Pourtant, il y a deux semaines, La France Agricole proposait un passionnant dossier sur le développement des circuits courts et des produits fermiers aux Etats-Unis. Réconfortant qu’au pays des « feed-lots » de parfois plus de 100 000 bovins et des poulets javellisés, il y ait de plus en plus place pour une agriculture de proximité !, au point de me demander si la France ne s’est pas trompé de combat ?
Campagne plurielle
Depuis quelques années la campagne a le vent en poupe. Le nombre de citadins qui aspirent à vivre en milieu rural ne cesse de croître. Cet exode urbain, après des décennies d’exode rural, prend différentes formes, comme le montre une enquête en sept épisodes menée par Le Monde cet été. Il y a ces télétravailleurs ou artistes, enfants des nouvelles technologies et du nomadisme mondialisé, qui n’hésitent pas à s’installer dans des pays « largement peuplés d’arbres et de vieux », ou ces étrangers attirés par la beauté des paysages et un certain art de vivre, comme ces 15 000 Britanniques qui ont choisi la Dordogne comme département de villégiature, ou encore ces retraités qui veulent se réenraciner dans le village de leur enfance. Il y a aussi ces néoruraux qui choisissent de pratiquer un type d’agriculture alliant qualité de vie et éthique du métier et ceux qui font des choix encore plus radicaux comme de vivre dans des yourtes. Il y a enfin ceux qui choisissent la campagne parce qu’elle est moins chère que la ville, mais doivent souvent déchanter, piégés par les charges de transport et de chauffage, et l’éloignement des bassins d’emplois. Quelles que soient les situations, l’insertion n’est pas sans tensions entre ruraux et néoruraux, dans une campagne de plus en plus diversifiée, reflétant les inégalités et la diversité des modes de vie de notre société. Constatons néanmoins que le gros des migrations villes-campagne concerne avant tout les zones périurbaines. Et bien des régions rurales de la fameuse « diagonale du vide » continuent de se désertifier, comme en témoigne Alain Bertrand, sénateur-maire de Mende, qui a remis cet été un rapport au gouvernement sur ces territoires hyper ruraux (26 % de l’Hexagone et 5,4 % de la population française) au seuil de l’effondrement. « A l’heure d’une société française moderne, mobile et connectée, écrit l’élu de la Lozère, il existe une fraction du territoire qui vit à l’écart du « mainstream » (courant dominant), voire à contre-courant, sans que, bien souvent, la majorité du pays ne s’en rende véritablement compte. »
Big bang territorial
Malgré une méthode brouillonne et confuse, il aura fallu moins de trois mois pour faire adopter par l’Assemblée nationale la réforme territoriale. Il avait fallu six mois aux révolutionnaires soucieux d’égalité des territoires et d’unité nationale pour, en 1790, mettre fin aux particularismes provinciaux de l’Ancien Régime et promouvoir le département. Leur tracé s’est fait sans trop se préoccuper de géographie, d’histoire ou de traditions culturelles, de manière arbitraire mais certes moins expéditive que le projet du géographe Robert de Hesseln qui avait proposé en 1780 un découpage purement géométrique de l’Hexagone en 80 carrés de 18 lieux de côté, eux-mêmes divisés en 9 districts, puis 9 cantons. Dans ce pays de tradition jacobine, le département était avant tout conçu comme une fraction d’un territoire unitaire. Pourtant, très vite, il ne semble plus adapté au contexte de l’époque alors que renaît le sentiment régionaliste. En 1864, Frédéric Le Play propose la création de treize provinces pour corriger les déséquilibres liés au développement des villes. Après la Première Guerre mondiale, Etienne Clémentel souhaite réorganiser le territoire en vingt régions autour des chambres de commerce. Puis Pétain prône la renaissance provinciale. Malgré tout le département résiste dans une économie avant tout terrienne, où le comice agricole est souvent l’événement majeur. Il faudra attendre les années 1955-1956 pour voir la création des programmes d’action régionale. La régionalisation est lancée malgré l’échec du référendum du général de Gaulle en 1969. Treize ans plus tard les lois de décentralisation feront de la région une entité politique à part entière. La prochaine étape de cette réorganisation territoriale verra la suppression des conseils généraux alors que la logique des métropoles, moteur des nouvelles régions, pourrait bien cantonner l’action des départements à la seule gestion des zones rurales. Un retour aux sources en quelque sorte !
Il y a un siècle…
Dans quelques semaines nous allons commémorer le début de la Première Guerre mondiale. En effet, un siècle nous sépare de ces premiers jours d’août 1914, où des millions de mobilisés, tous hommes jeunes, partaient au combat, la fleur au fusil, en pleine moisson, patriote comme un seul homme, avec le ferme espoir d’être de retour avant l’hiver. « Tu aurais vu les gars, témoignait Ephraïm Grenadou dans Grenadou, paysan français. C’était quasiment une fête, cette musique-là. C’était la Revanche… » Quatre ans plus tard, plus d’un million-et-demi d’entre eux ne rentreront pas de cette boucherie, monstruosité de l’histoire, qui tuera jusqu’à vingt-huit mille soldats en une seule journée. Parmi eux, beaucoup de paysans, plus de la moitié, pour cette guerre que certains ont appelé une guerre de paysans, comme l’universitaire allemand et francophile, Ernst Robert Curtius qui écrivait en 1930, dans son Essai sur la France : « Pour les Français, la terre cultivée de son pays est sacrée. L’ennemi en la foulant commet une profanation. La haine exaspérée de la France contre l’envahisseur des grandes guerres a été dictée, en grande partie, par le sentiment qui appartient à une zone de l’âme française bien plus profonde que celle de l’honneur national ». J’habite ces zones meurtries proches du front, entre batailles de la Marne, de l’Ourcq et du Chemin des Dames où le souvenir de cette tragédie se lit au quotidien dans les paysages, où l’histoire a rejoint la géographie. Si la nature et l’agriculture ont repris leurs droits, les paysages présentent encore quelques plaies béantes, tel bosquet, lieu d’affrontement, tel monticule qui ne doit rien à la géologie… Mais plus encore que ces immuables cicatrices, nos paysages semblent imprégnés de mélancolie, comme s’il planait depuis un siècle une brume automnale même au cœur des plus beaux jours de l’été. C’est sans doute pour tous ces sacrifiés de la bêtise humaine le moyen de rappeler aux générations futures : n’oubliez pas !
Cri de détresse
Je n’ai pas été surpris par le séisme politique du 25 mai. Et pour cause, je vis dans l’Aisne, le département qui a le plus voté (à plus de 40 %) en faveur du Front national aux élections européennes. Lien de cause à effet ?, l’Aisne est l’image de cette France périphérique, à l’écart des grandes métropoles, cette France des bourgs ruraux et périurbains, des ouvriers et des classes moyennes en voie de paupérisation. Récemment, l’évêque de Soissons, Mgr Hervé Giraud, par ailleurs juré au Festival de Cannes, se disait touché par le film des frères Dardenne, mettant en scène une femme (Marion Cotillard) qui lutte pour garder son travail, car, confiait-il, « la finesse d’analyse sociale du film rejoint la réalité de l’Aisne ». L’ecclésiastique est l’une des rares voix dans ce département à s’exprimer sur le sujet, où l’on n’entend guère les élus ! Et pourtant cette crise qui mine le lien social, se double désormais d’une crise politique majeure. Car si l’on ramène les résultats de chacune des listes au nombre d’inscrits (ce que les analystes ne font jamais, tant les chiffres sont effroyables !) on obtient pour l’Aisne, avec plus de 60% d’abstentionnistes, de votes blancs et nuls, un FN qui recueille 16,7 % des suffrages, suivi par l’UMP (8,6 %), le PS (4,5 %), les centristes (2,8 %), le Front de Gauche (2,4 %) et les Verts (2,2 %)… Au-delà du choc tectonique, surgit un cri de détresse, vite masqué par ces scandales politico-financiers qui minent une démocratie bien malade. Cercle vicieux ! « Nous sommes dans une ère post-démocratique. Il n’est pas seulement question d’europhobie ou d’europhilie. C’est bien pire : les électeurs détestent tous les partis, toutes les élites », écrivait avant le scrutin l’intellectuel belge David Van Reybrouck qui prône, à côté d’une assemblée élue, une chambre composée de membres choisis au hasard parmi la population pour permettre une meilleure représentation de la société. Projet populiste, s’insurgeront nos élites !
L’Europe et le traité atlantique
La campagne des européennes s’annonce terne sur fond d’indifférence d’une opinion désillusionnée par l’imbroglio européen. Pourtant certains enjeux vitaux, comme les négociations transatlantiques visant à constituer la plus vaste zone de libre-échange au monde, ne seront guère abordés. Et pour cause, la négociation se déroule dans le secret le plus total et les politiques, à l’exception d’un Jean-Pierre Chevènement, d’un Xavier Bertrand et d’un José Bové, jugent le dossier trop complexe et trop peu médiatique pour être abordé devant l’opinion publique. L’objectif du traité est de stimuler la croissance de part et d’autre de l’Atlantique en facilitant l’accès aux marchés et en faisant converger règles commerciales et normes en tous genres. Périlleux défi quand on sait combien sont différentes les approches en matière de protections sanitaires, de normes environnementales, de choix alimentaires. Les autorités européennes auront bien du mal à nous faire accepter l’importation de poulets désinfectés à la javel ! On nous dit que l’Europe est en position de force, avec un excédent de 118 milliards de dollars dans ses échanges avec les Etats-Unis, mais c’est oublier que les Américains maîtrisent leur monnaie, ce qui n’est pas le cas de l’Union européenne. Car sans cadre monétaire stable, le traité serait vite dénué de sens. On le constate, les liens d’amitiés ou de conflits entre l’Europe et les Etats-Unis qui ont jalonné l’histoire de la construction européenne perdurent. En 1966, répondant aux critiques de François Mitterrand, Georges Pompidou déclarait : « Nous sommes aussi européens que vous l’êtes mais nous voulons d’une Europe qui soit européenne et non pas d’une Europe atlantique ». Débat récurrent, sauf qu’aujourd’hui, l’Europe est bien plus atlantiste qu’en 1966. Et Hollande n’est pas De Gaulle, même si la France continue de croire à une Europe à la française tandis que, comme le notait récemment Hubert Védrine, ses partenaires semblent préférer le modèle suisse.
Travers de campagne
Longtemps j’ai cru que la dimension communale était le lieu d’expression idéal de la démocratie et d’une certaine noblesse de la politique telle qu’on peut la lire dans La République de Platon ou la vivre dans ces petits cantons suisses où les citoyens se réunissent encore aujourd’hui périodiquement sur la place du village pour procéder à des votations à main levée. Longtemps j’ai cru que l’exception française, – 36 000 communes et plus de 500 000 conseillers municipaux -, était une richesse pour la démocratie locale. Hélas, à y regarder de plus près, j’ai l’impression que l’on s’éloigne de cette belle utopie. Exemple, dans mon village de moins de trois cent habitants, où une seule liste était en lice, la campagne s’est limitée à la distribution d’un seul bulletin, – quelle que soit la composition de la famille -, déposé négligemment dans les boîtes aux lettres, au milieu de tracts commerciaux vantant la lessive du supermarché voisin. On aurait pu s’attendre à ce que chaque électeur reçoive au moins un bulletin de vote, si possible dans une enveloppe, accompagné d’une lettre présentant même succinctement le bilan passé et exposant quelques projets pour les six années à venir. Cela donnait l’impression que la seule motivation des édiles était d’être élue ou réélue. Pour changer d’horizon, j’ai écouté le débat avant le deuxième tour entre les deux prétendantes à la mairie de Paris, espérant y trouver un peu plus d’élégance. Après tout deux femmes charmantes et intelligentes… mais qui, hélas, ont fait dans l’invective aussi bien que les hommes ! Même vue par le petit bout de la lorgnette, notre démocratie locale est bien malade. A Breny comme à Paris et même à Bordeaux, où le maire victorieux dès le premier tour, avec plus de 60 % des suffrages, n’est en fait élu que par un peu plus d’un tiers des inscrits. L’abstention, c’est la toise du bon fonctionnement, ou plutôt en la circonstance du mal fonctionnement de notre démocratie !
Médias et agriculture
Tout journaliste pourra vous le confirmer. Il est difficile en temps normal de « vendre » des sujets agricoles dans la presse généraliste. L’exception, c’est la semaine du salon de l’agriculture où tous les médias traitent abondamment des choses de l’agriculture, chacun à sa manière. Exemples à travers la radio, le jour de l’ouverture du salon. Ce samedi-là, je suis réveillé par Bernard Poirette, aux commandes de la matinale de RTL, avec les deux journalistes spécialistes de l’agriculture, Virginie Garin et Anne Le Hénaff, qui mettent en valeur les produits, les hommes, les terroirs à travers une cinquantaine de reportages et chroniques. C’est sérieux, bien fait, sans prétention. A l’heure du déjeuner sur Europe 1, l’émission Les grandes voix est elle aussi présentée en direct de la Porte de Versailles. Michèle Cotta, Robert Nahmias, Gérard Carreyrou et Philippe Gildas y polémiquent sur la politique et tout autre sujet, en l’occurrence cette semaine-là d’agriculture. Ils ont un avis sur tout et pas toujours l’humilité de reconnaître qu’ils n’y connaissent pas grand-chose. Leurs façons de traiter l’agriculture illustrent bien la vision souvent caricaturale des élites, entre dédain à la manière de Michèle Cotta, avouant qu’elle aime les animaux mais déteste la campagne, et leçons d’ultralibéralisme comme si l’on produisait de la viande comme des savonnettes. Je zappe à nouveau pour écouter la différence sur France Inter, avec l’émission de Denis Cheissoux, CO2 mon amour, qui défriche chaque semaine les choses de la nature et de l’environnement. Les agronomes présents y traitent avec intelligence d’agricultures familiales, de prairies qui stockent le carbone, de circuits courts, et de reterritorialisation de l’agriculture… Trois émissions, trois radios, trois façons de traiter d’agriculture, le temps d’un salon. A l’an prochain, d’ici là l’agriculture sera réduite à la portion congrue, sauf en cas de crise !
L’adoration du veau d’or
Au Forum de Davos, gotha du capitalisme mondial, le thème des inégalités s’était invité dans les débats. Non que les financiers de la planète se soient convertis au dogme marxiste. Car le fossé entre riches et pauvres les inquiètent non pas pour des raisons de justice sociale mais parce qu’il est un risque pour la stabilité économique. Depuis vingt ans en effet, si les inégalités entre pays ont tendance à se réduire, elles ne cessent de se creuser au sein des nations. 1 % des plus riches américains se sont accaparés, depuis 2009, 95 % des fruits de la croissance, nous dit l’organisation humanitaire Oxfam qui constate que les 85 plus grosses fortunes de la planète possèdent plus de richesses que les 3,5 milliards de personnes les plus pauvres. Certains patrons du CAC 40 touchent toutes primes confondues l’équivalent de plus de 20 000 SMIC. En son temps, Platon estimait qu’il ne fallait pas dépasser un écart de un à quatre entre riches et pauvres. Jean-Luc Mélenchon, aujourd’hui, se contente de proposer un écart de un à vingt. Certains cathos vont plus loin, comme le jésuite Gaël Giraud et l’assomptionniste Cécile Renouard, tous deux chercheurs (de haut niveau) en économie, qui, dans un livre Facteur 12, demandaient le plafonnement des revenus dans un écart qui ne dépasse pas 1 à 12, estimant que, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas parce que l’on gagne beaucoup d’argent que l’on crée plus de valeurs. « Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir », martèle de son côté, un autre catho, le pape François, qui écrit dans la récente encyclique Evangelii Gaudium : « L’adoration de l’antique Veau d’or a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage. » Saura-t-il convaincre les marchands du temple de Davos à plus de partage ?
La longue tradition des almanachs
Pour le Nouvel An, on offre souvent des almanachs. Une tradition ancestrale dans les campagnes tant, depuis Gutenberg, ils ont ordonné la vie rurale. Le premier almanach Compost et Kalendrier des bergiers date de 1491. Puis, très vite, ces publications se multiplient proposant la liste des fêtes chômées, les mouvements de la lune et des planètes, quelques conseils agronomiques et de santé, des prédictions astrologiques, des histoires grivoises et, ce qui est moins marrant, la description des peines de l’Enfer. Plus tard, ils deviendront de petites encyclopédies destinées à une population en majorité analphabète. Vendus par les colporteurs en même temps que les images pieuses ou les recueils de contes, les almanachs seront après la Bible les écrits les plus vendus pendant des siècles. Ils concourent également à l’unité du pays diffusant auprès de tous les Français une mémoire collective qui va de l’intrigante Bête du Gévaudan aux sympathiques aventures du bandit Mandrin. « L’almanach est une chose plus grave que ne le croient les esprits futiles », écrira Jules Michelet, tandis que l’agronome Duhamel de Monceau dénoncera son caractère obscurantiste et fantaisiste, à l’origine du retard de l’agriculture. Avec le développement du commerce des semences, chaque grainetier diffusera son almanach comme Le Bon Jardinier ou La Feuille Vilmorin. Jusqu’à une date récente, l’almanach demeurera l’un des rares écrits rencontré dans les maisons paysannes. Le scénariste Jean-Claude Carrière, né en 1931, raconte dans son livre Le vin bourru, que, dans la maison de son enfance, on ne trouvait, outre le missel, que le catalogue de la Manufacture de Saint-Etienne et l’Almanach Vermot. Alors, pour rester dans la tradition, une bonne année à tous et à chacun, riche de lectures en tous genres, y compris d’almanachs !
Merveilleux herbier !
En ces temps où diverses institutions officielles n’hésitent pas à se délester du patrimoine le plus ancien pour satisfaire à des contraintes budgétaires, saluons la rénovation de la galerie botanique du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Un travail titanesque – pour gagner de la place et changer la structure de classification – qui s’est étalé sur plus de quatre ans, durant lesquels restaurateurs d’herbiers, classificateurs, dessinateurs, déménageurs et artisans ont dû reclassifier et archiver méticuleusement huit millions de spécimens dont 500 000 types de grande valeur, soit le plus grand herbier du monde, dans 48 000 classeurs. Parmi les collections les plus précieuses du Muséum, on compte le plus ancien herbier constitué en 1558 par un étudiant en médecine, Jehan Girault, qui souhaitait réaliser un inventaire des plantes médicinales, mais aussi ceux des frères Jussieu, de Lamarck ou d’Adanson. Cette rénovation est un bel hommage rendu à ces savants qui s’adonnaient passionnément à l’herborisation et n’hésitaient pas à s’aventurer dans les contrées les plus lointaines parfois dans des conditions rocambolesques pour collecter plantes en tous genres, mousses, fougères, lichens ou champignons. Mais l’aspect le plus innovant de cette rénovation, c’est la numérisation de plusieurs millions de planches en accès libre sur Internet. Chacun pourra donc s’offrir d’ici quelques mois un voyage végétal dans le temps et l’espace, s’émerveiller devant des planches qui sont de véritables œuvres d’art et découvrir combien la biodiversité est un enjeu essentiel pour notre avenir, à travers, notamment, les exemples de la Pervenche de Madagascar, connue dès 1655, et dont on extraira trois siècles plus tard des substances pour lutter contre la leucémie et le cancer, ou de ces bananiers sauvages mieux armés que les espèces domestiquées pour résister au réchauffement climatique. L’herbier devient ainsi une assurance pour le futur !
Tous accros, tous fichés !
La semaine passée, une panne a privé d’Internet pendant cinq jours les clients d’un des opérateurs dans mon village. Au moins cet incident m’a-t-il permis de prendre conscience de mon degré de dépendance technologique. Le constat est d’autant plus redoutable que je ne me considère pas comme un accro de ces technologies. J’ai un portable qui ne fait que téléphone et je ne dépense pas les 2 € de mon forfait mensuel. Je n’ai jamais été capable de programmer l’horloge d’un magnétoscope et je hais au plus haut point ces techniques dégradantes pour les contacts humains, dont les symboles sont le serveur vocal et la touche étoile. Je partageais les emportements de Georges Bernanos écrits après la Seconde Guerre mondiale sur la tyrannie des machines. J’appréciais les analyses du philosophe Jacques Ellul sur le système technicien. En 1984, j’avais relu 1984, le fameux roman de George Orwell, publié en 1949. Avec ce bagage de références à la touche si rebelle, j’avais l’impression d’être complètement immunisé. Et pourtant, devant cette panne, je me suis senti fragile et dépendant. Chaque jour, je tentais de me reconnecter dix fois, espérant la panne réparée. Mais sans succès ! Alors l’énervement se mêlait à l’angoisse (je n’allais tout de même pas envoyer mon billet à la France agricole par courrier !). Et je ne parle pas du caractère déprimant des appels auprès de l’opérateur qui propose de vous dépanner pour 30 €, alors que la panne vient de lui… Cette même semaine, on découvrait l’ampleur des écoutes de l’Agence de Sécurité américaine (la NSA), qui, en 30 jours, avait effectué 70 millions d’enregistrements de données téléphoniques, pour les seuls Français, et espionner les portables de 35 chefs d’Etat. Cette même semaine encore, on apprenait la découverte du corps d’un homme qui s’était suicidé huit ans plus tôt, sans que personne ne se soit soucié de ce malheureux. Deux faces de cette société technicienne, à la fois si simpliste et si sophistiquée, et surtout si inhumaine. Il me faut vite relire 1984 !
La passion du Border Collie
Il est devenu une star mondiale, abondamment utilisée dans la pub, médiatisée par ce film, Babe le cochon devenu berger. Je veux parler du Border Collie, une race de chiens de troupeau très ancienne sélectionnée entre Ecosse et nord de l’Angleterre et qui restera longtemps confinée dans ces vastes landes dédiées à l’élevage extensif du mouton avant de conquérir à partir des années 1970 le monde et de devenir le numéro un des chiens de troupeau. C’est cette saga que nous raconte le journaliste Jean Piacentino, dans son dernier livre (*), riche de conseils pratiques de tous ordres. Mais l’intérêt de ce livre est aussi dans cette passion trentenaire que nous fait partager cet ancien élève de Sciences Po Paris, par ailleurs grand spécialiste du cheval de trait, pour cette race et pour les éleveurs qui, en France, ont permis sa promotion. Il nous fait découvrir ces débats passionnés, qui ne sont pas sans rappeler l’introduction du mérinos espagnol puis du bœuf Durham anglais en France. Pour l’anecdote, l’on découvre que l’un des pionniers de l’introduction du Border Collie dans l’Hexagone n’est autre que Pierre Juillet, qui fut conseiller de Georges Pompidou à l’Elysée et éleveur de moutons dans la Creuse. L’on découvre encore dans ce livre une sociologie des Etats à travers leur attachement à une race de chiens, qui explique bien des difficultés de la construction européenne. Le Royaume-Uni, avec sa ferveur populaire et ses concours de chiens de troupeau, qui sont retransmis par la BBC, avec la participation de la famille royale, mais aussi les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne, pays cynophiles, face à une France, plus réservée devant cette race venue d’un pays qui n’apprécie guère la PAC, mais qui aujourd’hui compte près de 400 000 Borders Collies. Ce qui signifie que la race est largement implantée hors de l’agriculture. Mais là, c’est un autre problème ! * Le Border Collie – Jean Piacentino – Editions France Agricole, 2013.
A table !
Fouiner dans les kiosques à journaux en attendant un train est un de mes plaisirs « gourmands ». Et puis les couvertures des périodiques expriment bien l’état d’une société. Cet été, la gastronomie était à l’honneur, plus qu’à l’habitude, hors presse spécialisée bien sûr. Le Monde et Géo éditaient deux hors-séries au titre similaire : A Table ! Un régal que ces lectures autour de plusieurs siècles de gastronomie, d’arts de la table, de plats mythiques, – de la blanquette de veau à la sole sauce normande -, de légendes, de génies, – d’Antonin Carême et ses pièces montées qui ressemblent à des monuments historiques à François Vatel qui se suicide de crainte que le poisson de la marée n’arrive à l’heure…, mais aussi de littérature culinaire qui, de l’Almanach gourmand de Grimod de la Reynière au magazine Gault et Millau, a su nous transmettre un savoir-faire, mais aussi faire et défaire des réputations. Dans une approche plus contemporaine, le mensuel Alternatives économiques publiait un supplément Les dessous de l’assiette, et Capital un dossier spécial Vive la France de la bonne bouffe ! scrutant les actuelles pratiques alimentaires qui montrent malgré tout que les Français continuent de cultiver leur singularité (et parfois un sentiment de supériorité !) quant à leur rapport à alimentation, qui demeure en France autre chose que le simple fait de s’alimenter. Les Français passent plus de temps à table que les autres Européens. Fait social, rite culturel, le repas y paraît plus convivial, même s’il est traversé par les tensions de la société où l’individualisme tend à prendre le pas sur les rites collectifs, l’anxiété sur le plaisir, l’artificialisation sur l’authenticité… Seule pointe d’inquiétude dans l’un de ces dossiers, l’interview du sociologue Jean-Pierre Poulain qui nous annonce dans les vingt ans à venir une nutrition plus médicalisée grâce à la nutrigénétique, l’épigénétique et le nutrigénomique… Un peu barbare, tout cela ! Mon repas en a été gâché.
Une espèce en voie de disparition
Traverser les villages en cette période estivale donne l’impression que le monde rural n’a guère changé. Cela tient à la nostalgie d’un monde d’avant mais ne résiste pas à l’enquête. Le sociologue Jean-Pierre Le Goff a analysé ce phénomène, dans La fin du village, à travers le bourg de Cadenet dans le sud du Lubéron. L’auteur y décrit les bouleversements de ces cinq décennies, notamment le déclin des activités majeures. L’agriculture a perdu 40 % de ses terres et certains prévoient que d’ici 50 ans il n’y aura plus de terres cultivables en PACA. La vannerie a disparu ; ne demeure qu’un musée. A Cadenet, il y a quelques décennies, les gens étaient pauvres, mais joyeux et solidaires. Il fallait travailler dur pour gagner sa vie, mais les rapports humains faisaient le sel de la vie. Puis la télévision et la voiture sont apparues. L’arrivée de nouveaux habitants, des jeunes couples voulant vivre à la campagne tout en travaillant à la ville, des néo-ruraux, et plus tard des gens beaucoup plus fortunés a bouleversé le lien social. La vie associative s’est fortement développée, répondant aux besoins des uns et des autres, sans pour autant faire revivre le lien social. Désormais la mentalité du village n’a plus grand-chose à voir avec celle des agriculteurs et des vanniers. Le rapport au temps, au travail, à l’environnement, aux autres en a été bouleversé. Le soir, les rues sont vides. Le chômage s’est accru en même temps que les divorces et le Parc naturel régional a « bureaucratisé » le lien avec la nature. Microcosme du mal-être social, Cadenet est devenu, pour l’auteur, un village bariolé. Le livre commence au bar des boules, le « refuge du cœur du village » dans une ambiance à la Pagnol, et se termine dans ce même café, avec le patron qui déclare : « Nous sommes une espèce en voie de disparition, seulement nous, on ne nous préserve pas ». La fin du village – Jean-Pierre Le Goff – Gallimard – 2012 – 26 €.
En avant, marche !
Dans un monde où tout s’accélère, la marche a le vent en poupe (du moins dans sa version littéraire !), comme en témoigne le succès du livre de Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, après celui d’Alix de Saint André, En avant, route !, racontant tous deux leurs pèlerinages vers Compostelle. C’est aussi le cas de Jean-Paul Kauffmann. L’ancien otage au Liban, qui, longeant la Marne de Joinville-le-Pont au Plateau de Langres, nous fait découvrir, dans Remonter la Marne, la France des villages assoupis et des églises fermées mais riche de rencontres et de clins d’œil historiques à travers les personnages de Bossuet, La Fontaine, Dom Pérignon ou des Poilus de la Bataille de la Marne. Autre quête pédestre, celle du généticien Axel Kahn. En rupture avec un agenda surchargé durant toute sa vie professionnelle, il poursuit un périple débuté à Givet le 8 mai et qui se terminera le 1er août à Hendaye. Un projet mûri depuis cette rencontre faite à l’occasion d‘une randonnée, il y a une vingtaine d’années, d’un très vieux monsieur allongé dans une couverture de survie, loin dans la montagne, à qui Axel Kahn demandait : « Qu’est-ce qu’une personne dans votre état peut bien faire en un tel endroit ? ». Le vieux monsieur lui répondait : « parce que, selon vous, je devrais être dans un hospice en attendant qu’on me passe le pistolet et le bassin. Chacun choisit sa vie, je l’ai fait ». Toute autre est la démarche de Jean Lassalle, ce député du Béarn proche de François Bayrou, parti à la rencontre des Français. Depuis plus de deux mois, il a parcouru près de 1 300 kilomètres et rencontré une centaine de personnes par jour. Son constat est alarmant : « Neuf personnes sur dix me disent : ça va péter, a-t-il déclaré récemment sur RTL, les gens n’ont plus d’espoir et, surtout, ils n’ont plus aucun sens commun : le lien social s’est brisé. » Sans doute Jean Lassalle devrait-il conseiller à tous ces gens la marche comme antidote au stress ambiant !