Désir d’herbe

Juin est le mois des longs jours, de la rose mais aussi de la fenaison. Dans les temps anciens, cette activité éprouvante mobilisait toute la maisonnée. Même mécanisée, elle est sujette aux aléas climatiques. Un orage imprévu et c’est parfois la perte d’une récolte. Mais au-delà de la production fourragère, l’herbe est aussi source d’émotions depuis l’Antiquité. L’historien des sensibilités, Alain Corbin, dans son livre La Fraîcheur de l’herbe (1) nous convie à un voyage littéraire sur ce thème : de Rousseau, qui voit dans un brin d’herbe la preuve sensible de la présence de Dieu, à Victor Hugo, qui évoque cette « housse de velours vert », en passant par Rimbaud qui la qualifie de « clavecin des prés » et Giono qui exalte « la ronde de l’éternel retour de la vie, de la faux et de regain ».

« L’herbe est porteuse d’origine, elle semble garder la saveur des premiers temps du monde », écrit Alain Corbin. L’herbe invite au repos et à la contemplation, à la rêverie et à la somnolence, à la sensualité et au flirt. Un temps que les moins de 50 ans connaissent moins bien car le rapport à l’herbe a changé, lorsque les prairies naturelles n’ont pu suffire aux besoins de l’élevage et qu’apparurent les prairies artificielles.

Aujourd’hui, où la hiérarchie entre herbes folles, sages ou mauvaises s’estompe aux yeux des citadins, le brin d’herbe s’invite sur les toits d’immeubles et les trottoirs que l’on a cessé de désherber, tandis que le gazon uniforme de brins disciplinés dans les parcs publics et les terrains de golf fait penser à une bétonisation champêtre. Ce qui témoigne à la fois de cette artificialisation de la nature, mais aussi de cette nostalgie des sentiments liés à l’herbe qui résiste à travers ces émotions familières que sont la roulade de l’enfant dans le pré, l’odeur enivrante du foin, la sensualité et l’ondulation des hautes herbes, le bruissement des brins et des insectes, le diapré des fleurs sauvages…

  • La Fraîcheur de l’herbe, histoire d’une gamme d’émotions de l’Antiquité à nos jours – Fayard « Histoire » – 244 pages – mars 2018 – 19 €.