Michel Serres, le dernier philosophe paysan

Philosophe, historien des sciences, théoricien de la communication, enseignant dans beaucoup d’universités de par le monde et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, Michel Serres est décédé le 1er juin dernier. Cet intellectuel curieux de tout, qui considérait que pour être philosophe, il fallait s’appuyer sur un savoir encyclopédique, découvrir la totalité du monde et des hommes, des langues et des religions, s’intéressait à Leibniz et Jules Verne, aux mathématiques et aux anges, au développement durable et à la révolution numérique, ainsi qu’à Tintin (il était l’ami d’Hergé). Enfant de la guerre, il avait décidé après Hiroshima d’étudier la philosophie. Ayant vécu cette période de guerres, il refusait l’expression « c’était mieux avant ! » et considérait l’arrivée du numérique comme une révolution aussi importante que l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie, permettant un accès immédiat à l’information et à la connaissance.

Dans une vie antérieure, ce fils de marinier de la Garonne, qui savait labourer avec un cheval, avait fait l’Ecole navale et était devenu capitaine au long cours, participant notamment à l’expédition de Suez. Homme de l’eau, il revendiquait ses origines paysannes (il avait gardé l’accent gascon) et voyait la fin de cette civilisation paysanne, en temps qu’elle modelait conduites et cultures, sciences, vie sociale et religions, comme le plus grand événement du XXème siècle. L’auteur du Contrat naturel, l’un des premiers ouvrages de philosophie de l’écologie, considérait également que « l’écologie est souvent le discours des gens de la ville pour dire, sans le faire, ce que font sans le dire, les paysans ». A l’occasion de la dernière émission Apostrophes, Bernard Pivot avait demandé à chacun des 70 écrivains et intellectuels présents sur le plateau de choisir le mot qu’ils aimaient. Michel Serres avait choisi le mot ensemencement. « Avec étonnement, j’ai vu que mes collègues écrivains avaient complètement oublié tous les mots qui les reliaient à la terre », disait ce membre de l’Académie française également membre de l’Académie des vins de Bordeaux.