La campagne, pour se reconstruire

Alors que vient de se terminer le Festival de la bande dessinée d’Angoulême, permettez ce coup de cœur pour l’album Les Grands Espaces de Catherine Meurisse. L’auteure, ancienne caricaturiste à Charlie Hebdo, avait échappé à la tragédie en arrivant en retard. Depuis, elle a mis de côté le dessin de presse pour les albums. Son dernier, Les Grands Espaces, raconte de manière drôle et poétique, et avec profondeur et sensibilité, son enfance dans la campagne des Deux-Sèvres, là où a germé sa vocation de dessinatrice. A sept ans, elle sauve les vieilles pierres, crée avec sa sœur un musée des objets trouvés dans la terre, comme Pierre Loti, s’adonne au jardinage, rêve de grands arbres qui donnent ce sentiment d’éternité, imagine un nouveau Versailles, fait d’un nain de jardin son confident. « Le mot le plus employé à la maison était sans doute bouture », écrit-elle. On y observe aussi les grandes transformations des campagnes : la fin des haies, le remembrement, puis le retour de quelques haies mais avec des espèces moins bien adaptées.

Dans cet album, se mêlent nature et culture, littérature et botanique, avec le rosier qui vient de chez Montaigne ou le figuier qui vient de chez Rabelais, le platane appelé Swann, en référence à Marcel (Proust) qui, dans A la recherche du temps perdu, écrit : « Le seul véritable voyage, ce n’est pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais… de voir avec d’autres yeux ». Et notamment le regard des peintres sur la nature (les arbres de Corot, les buissons de Fragonard, les haies de Watteau…) que l’auteure découvre lors d’une visite au Louvre et qui sera à l’origine de sa vocation de dessinatrice. Après la tragédie de Charlie Hebdo, elle a eu besoin de ce retour aux sources, consciente que la nature (comme l’art) peut aider à vivre et que la campagne peut contribuer à se reconstruire. « La campagne sera votre chance », avait d’ailleurs dit la mère de Catherine Meurisse à ses deux filles.