La faim, la Covid-19 et nous

Compte rendu de l’intervention commune de

Valentin Brochard, Martin Willaume et Denis Lefèvre,

lors de l’assemblée régionale Hauts de France le 3-10-2020 Trois parties: état des lieux /impact Covid/ et ici?

Assemblée Régionale du CCFD-Terre Solidaire des « Hauts de France »

Samedi 3 octobre 2020

 

 

  1. La faim dans le monde : un état des lieux

Intervention à deux voix :

Valentin Brochard, chargé de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-TS

Martin Willaume, chargé de mission Pays Andins pour le CCFD-TS

(Animation : Michel Bardoz)

Valentin  Brochard : aspects et causes d’une situation dégradée  

La faim repart à la hausse depuis  cinq ans : 700 millions de personnes dans le monde  (soit 9 % de la population) souffrent de sous-alimentation chronique. note 1

L’Asie reste la région où l’on trouve le plus grand nombre de personnes sous-alimentées, devant l’Afrique, l’Amérique Latine et les Caraïbes. Mais en pourcentage, c’est l’Afrique qui est la région la plus touchée (19% de sa population), et la situation continue de s’y aggraver, surtout en Afrique de l’Est.

 

Le récent rapport  annuel des agences onusiennes sur « L’état de la sécurité alimentaire dans le monde »note2 introduit un nouvel indicateur, qui élargit la perspective et saisit plus finement les évolutions en cours. Il permet de mesurer l’insécurité alimentaire à différents niveaux de gravité.note3 Une insécurité alimentaire modérée est déjà préoccupante : pour ceux qui en pâtissent, l’accès à la nourriture est incertain ; quand ils peuvent manger, ils consomment souvent les aliments les plus facilement disponibles  ou les moins chers, qui ne sont pas forcément les plus nutritifs et les plus sains.

Deux milliards de personnes (un quart de la population mondiale) souffrent d’insécurité alimentaire, modérée ou grave, principalement  dans les pays à faible revenu. Toutefois ce problème d’accès régulier à une nourriture suffisante, saine et nutritive existe aussi dans les pays du Nord à revenu moyen élevé, y compris 9% de la population en Europe et en Amérique du Nord.

Cette situation a des causes multiples: la multiplication des conflits, l’impact des dérèglements climatiques, mais aussi l’incapacité de nos systèmes agro-alimentaires mondiaux à nourrir convenablement la planète. Ces systèmes contribueraient plutôt à aggraver la situation par leurs impacts économiques, sociaux, écologiques,  et la piètre qualité nutritionnelle des produits obtenus.

A vrai dire, la faim est aujourd’hui moins un problème de production –elle pourrait  suffire à la tâche- qu’un problème de répartition, de pauvreté et de justice sociale. On sait bien que les victimes de la faim sont d’abord des ruraux, particulièrement de petits agriculteurs, des femmes et des enfants.

On observe aussi dans les pays latino-américains une relation entre : la dépendance des marchés internationaux  et  l’insécurité alimentaire…Au moins 3 milliards de personnes en ce monde  ne peuvent pas se permettre une alimentation saine de façon durable ; c’est le cas de plus de la moitié de la population africaine. Or, le rapport onusien  indique qu’une  telle alimentation  coûte bien plus de 1,90 dollar américain  par jour (seuil de pauvreté international) ; le prix d’une alimentation saine, même la moins chère, est cinq fois plus élevé que celui à payer pour se remplir l’estomac de seuls féculents.

C’est d’un  véritable changement de paradigme que nous avons besoin. La promotion de l’agro-écologie en est l’une des facettes.

Echos  des pays andins,  par Martin Willaume

La situation latino américaine n’est pas la pire qui soit – si l’on considère son insertion correcte dans les circuits internationaux et ses statistiques globales- Mais on y relève des tendances inquiétantes, notamment en Bolivie  (15% de population sous-alimentée, contre 7% au Pérou), ou au Venezuela qui connaît une crise très forte qui rejaillit sur les pays voisins (un million et demi de Vénézuéliens sont réfugiés en Colombie, vulnérables  face à la faim).

En outre, les inégalités sont parfois  très fortes au sein d’un même pays. Ainsi, le « miracle minier »note4 et les indicateurs économiques globaux positifs du Pérou cachent de grandes disparités entre le littoral, la zone andine et le versant amazonien. Les régions rurales reculées sont  plus exposées aux risques. La moitié des péruviens vivent sous le seuil de pauvreté.

L’insertion du Pérou dans le commerce international menace la sécurité et la souveraineté alimentaires du pays en modifiant les rapports au marché et les habitudes alimentaires. Le boom international du quinoa conduit les communautés paysannes  à exporter une partie de leur production, au détriment de la consommation locale. Les pâtes et le riz importés progressent aux dépens des produits locaux traditionnels. La production des pommes de terre se concentre sur quelques espèces, les plus rentables à l’export, aux dépens d’autres espèces natives, nutritives mais délaissées. Le Pérou importe les surgelés nécessaires à ses fast-foods…

Le soutien au modèle d’agriculture familiale et paysanne s’impose. C’est l’une des tâches majeures des partenaires andins du CCFD-TS, tels que CIPCA (Bolivie), ou l’IMCA (Instituto Mayor Campesino, Colombie), et des partenaires engagés dans le programme de « Transition pour une Agro écologie  Paysanne au service de la Souveraineté Alimentaire » (TAPSA).note5

C’est une tâche multiforme, qui au-delà des aspects  proprement agricoles (diversification  des cultures et des techniques, agroforesterie, …) intègre des aspects culturels et sociaux (reconnaissance du droit des femmes, droits des indigènes) et des actions de  plaidoyers  (obtenir des politiques publiques favorables).

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Note  1 : La sous-alimentation chronique  désigne l’insuffisance durable  de la ration calorique quotidienne. On retrouve le chiffre plus connu de 820 millions personnes « souffrant de la faim » si l’on prend aussi en compte les formes de malnutrition (mauvais état nutritionnel et carences dues à une alimentation mal adaptée ou mal équilibrée).

Le pourcentage global de personnes sous-alimentées  (la prévalence  mondiale de la sous-nutrition)  évolue peu : il se situe  plus ou moins autour de 9 pour cent. Ce sont  les chiffres en valeurs absolus  (les effectifs) qui augmentent depuis 2014 ; ce qui veut dire que la faim a augmenté au même rythme que la population mondiale.

Note 2 : le rapport dit « SOFI » est co-rédigé par cinq organismes spécialisés de l’ONU : la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture), le FID (Fonds international de développement agricole), le PAM (Programme alimentaire mondial, prix Nobel de la Paix 2020), l’UNICEF (Fonds pour l’enfance) et l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Le rapport souligne chaque année davantage la probable perspective  d’un échec de la communauté internationale  dans la poursuite de l’objectif « faim zéro » en 2030. La course contre la malnutrition est aussi mal engagée : entre un quart et un tiers des enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance ou d’émaciation. Les organismes onusiens invitent  donc à des « actions plus audacieuses » et plus globales (tout au long de la filière alimentaire, et dans l’économie politique qui façonne le la dépense publique, l’investissement, et l’activité commerciale)

Note 3 : Une personne est en situation d’insécurité alimentaire «lorsqu’elle n’a pas un  accès régulier à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour une vie saine et active ou une croissance ou un développement normal » (définition de la FAO). L’insécurité peut être due à l’indisponibilité de la nourriture ou au manque de ressources pour se la procurer.

Elle peut être ressentie à divers niveaux de gravité que la FAO mesure à l’aide d’une échelle de « l’insécurité alimentaire vécue » (FIES, Food Insecurity Experience Scale) :

-insécurité légère : apparition d’une incertitude sur la capacité de se procurer la nourriture) ;

-insécurité modérée (1): la qualité  et la diversité de l’alimentation sont compromises ;

-insécurité (2) : réduction des quantités  et repas sautés ;

-insécurité grave : privation d’alimentation pour un jour ou plus

 

Note 4: Cette thématique de l’exploitation minière, des conflits et dégâts qu’elle provoque est bien documentée :

https://ccfd-terresolidaire.org/nos-publications/fdm/2015/290-novembre-decembre/perou-la-mine-5290

Note 5: on en saura plus sur les partenaires andins du CCFD-TS en se reportant au site internet national :

https://ccfd-terresolidaire.org/projets/ameriques/bolivie/en-bolivie-l-5300

présentation de CIPCA, partenaire bolivien,  janvier 2016

https://ccfd-terresolidaire.org/nos-combats/6-histoires-6-combats/l-histoire-de-seferino-6713

l’histoire de Seferino, paysan bolivien passé à l’agroforesterie » septembre 2020

https://ccfd-terresolidaire.org/projets/projets-transnationaux/un-programme-mondial-de/colombie-agroecologie-paix-6521

interview de E.I.D. Pabon, directeur de l’IMCA (Instituto Mayor Campesino)         mis en ligne en janvier-février 2020

Le programme TAPSA, déployé sur quatre ans (2018-2022) a pris la suite du programme Paies ; il implique des partenaires de cinq régions du monde, dont des pays andins ; voir :

https://blog.ccfd-terresolidaire.org/centre/post/2020/05/05/Tapsa-Le-programme-de-Souverainet%C3%A9-Alimentaire-du-CCFD-Terre-Solidaire.

                   2. Les impacts de la pandémie de COVID-19

Intervention à deux voix: Valentin Brochard, chargé de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-TS  et Martin Willaume, chargé de mission Pays Andins pour le CCFD-TS

(Animation : Michel Bardoz).

                                   Une crise alimentaire durable (Valentin Brochard)

La pandémie de covid-19 a déclenché une crise alimentaire dont l’impact ne s’arrêtera pas avec la fin de la crise sanitaire, ne serait-ce qu’en raison de la profonde déstructuration de certaines  filières.  Elle agit comme un accélérateur : d’après les estimations de l’ONU, 132 millions de personnes  supplémentaires souffriront de sous- alimentation  d’ici la fin 2020, et  900 millions de plus connaitrons l’insécurité alimentaire (y compris des européens)note 6.

Le confinement général, la fermeture des frontières et des marchés (à diverses échelles) ont écorné les chaînes d’approvisionnement et de  valeur (production non-alimentaire comprise d’ailleurs, comme le dit l’exemple des fleurs au Kenya),  et singulièrement  compliqué l’accès à une  alimentation saine et diversifiée.

La crise est une crise de l’accès  à l’alimentation. Accès  physique en premier lieu, en raison d’atteintes aux circuits (production-consommation), des récoltes laissées sur pied et   difficultés d’écoulement  (les producteurs de pommes de terre du Fouta Djalon , en Guinée, en ont fait l’amère expérience)  jusqu’à la fermeture de toute sorte de centres de distribution (par exemple la fermeture des cantines)

Crise de l’accès monétaire, aussi, en raison des pertes de revenus des travailleurs du secteur agricole ou du secteur informel. Les plus vulnérables sont comme toujours les populations les plus  pauvres ou  celles qui survivent grâce à un travail précaire.

Suivent dans un second temps, un certain nombre d’«impacts différés ». Notamment  la volatilité des prix sur les marchés internationaux (flambée des céréales) et nationaux (au Mexique le prix du maïs est multiplié par trois), qui creuse les différences entre villes et campagnes. Conjuguée avec la baisse  générale du pouvoir d’achat (donc la diminution des moyens consacrés à l’alimentation des ménages), elle installe durablement les populations modestes dans l’incertitude. Le repli sur quelques aliments bon marché qui s’ensuit pèse sur la qualité et la diversité de l’alimentation.

Beaucoup dépend et dépendra de la réponse des états  et de l’attention qu’ils portent aux plus vulnérables : les pauvres des villes et des campagnes, les travailleurs du secteur informel, les femmes et  les migrants. Cette attention  est comme on sait très variable d’un pays à l’autre.

La crise révèle en les intensifiant les vulnérabilités et les insuffisances des systèmes alimentaires mondiaux, finalement peu résilients face à des chocs inattendus, et peu durables. Les pays les plus touchés sont souvent les plus dépendants des marchés internationaux pour leurs exportations et importations alimentaires. La pandémie devrait donc conduire à repenser  nos systèmes internationalisés.

La crise suppose encore une  réponse internationale à la hauteur de la situation, qui tarde à venir et que plusieurs ONG appellent de leurs vœux. Réaction internationale cohérente  et coordonnée, qui implique notamment  que le Comité de Sécurité Alimentaire mondiale (CSA) joue pleinement son rôle.

Des pays andins fortement touchés (Martin Willaume)

Les pays andins sont très touchés par l’épidémie et la crise qui s’ensuit. Le Pérou  par exemple enregistre une mortalité due au covid élevée, la plus forte au sein de ce groupe de pays.note 6b

La tension entre deux nécessités -se protéger, et travailler – est  très forte dans un pays où  la majorité des emplois relève du  secteur informel (sans couverture sociale, ni conditions de travail normalisées): les travailleurs, contraints de travailler, sortent en toutes circonstances. Les mesures prises par les autorités sont en partie inadaptées, en porte-à-faux par rapport aux réalités vécues par la population. Une partie d’entre elle ne comprend pas l’importance de la distance sociale, du lavage répété des mains, et du port du masque. Les mesures fortes (couvre-feu et état d’urgence), n’ont pas été totalement respectées ni efficaces.

Dès le printemps sont apparues des situations d’insécurité alimentaire, qui touchaient  par exemple les enfants qui n’étaient plus scolarisés ou certains quartiers confinés (Pérou, Colombie…) Les associations partenaires du CCFD-TS se sont donc consacrées  à la  distribution de repas, pour secourir des familles qui ne pouvaient plus travailler et ne recevaient aucune aide financière.

Travail d’urgence, pour ces partenaires qui en temps normal travaillent sur la durée longue  et accompagnent patiemment la transformation sociale et le cheminement vers l’autonomie. Mais aussi confirmation  pour ces associations travaillant déjà sur la coopération et les logiques solidaires des solutions agro-écologiques, qui pour le coup ont montré toute leur pertinence. Cela dit, la crise est aussi une « bonne occasion » pour d’autres acteurs, porteurs de ‘solutions’ productivistes ; la Bolivie vient ainsi en mai de mettre fin au moratoire sur les OGM. pour les cultures du blé, du maïs, du soja et du coton.

La solidarité doit s’exprimer aussi à l’égard des femmes, qui portent pleinement le poids de la crise, à la ville comme à la campagne. Elles affrontent la situation d’urgence quand tout manque, et le souci de l’éducation des enfants qui ne sont plus scolarisés. Certaines sont  privées de leur emploi (ouvrières agricoles, vendeuses sur les marchés, travailleuses du secteur informel).  A la campagne, leur charge de travail s’en trouve plutôt accrue –tâches domestiques et travail agricole conjugués– Enfin, les violences de genre se sont  multipliées.

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Note 6 : voir sur ce point :

https://ccfd-terresolidaire.org/nos-combats/souverainete/crise-alimentaire/le-virus-affame-6736

note 6b : Le Pérou (33 Mn habitants) connaît une crise sanitaire majeure ; en nombre de personnes touchées  c’est le pays le plus atteint après le Brésil, et son taux de décès  dû au covid était en septembre 2020 de 87 pour 100 000  (plus que le Brésil, le Mexique ou les Etats-Unis).  Ici se conjuguent les déficiences du système sanitaire et hospitalier, la précarité économique  et une incontournable promiscuité : « Comment se protéger dans un pays où près de 70% de la population travaille dans le secteur informel ? » interrogeait  en avril un article sur le site national :

https://ccfd-terresolidaire.org/actualites/covid-19/perou-amazonie-la-crise-6593

(cet article comporte une brève présentation de partenaire Manthoc, association d’éducation populaire,  partenaire du CCFD-TS)

 3. Et ici ..? Quelques aperçus  de l’intervention de Denis Lefèvre  

(extraits de l’interview conduite  par Jean Wambergue )

Denis Lefèvre  est journaliste et écrivain, spécialiste du monde  rural et agricole. Son dernier livre s’intitule: «Des racines et des gênes : une histoire mondiale de l’agriculture », 2018, Editions Rue de l’Echiquiernote7

Les constats qui précèdent nous invitent à nous interroger sur nos modes de production et de consommation, à mieux cerner les enjeux éducatifs et la couleur de notre action « ici ».

En grippant les échanges commerciaux, l’épidémie de Covid-19 a aussi  révélé quelques –unes de nos dépendances  et remis en lumière certaines réalités nationales…

Les villes françaises loin de « l’autosuffisance » :

En 2017 le degré d’autosuffisance des 100 premières aires urbaines françaises est en moyenne de 2% Autant dire que la part du local  dans le total des produits alimentaires intégrés dans l’alimentation  urbaine reste marginale. En moyenne, 98% de la consommation alimentaire de ces aires est donc « importé ». Situation paradoxale puisque dans le même temps 97 % de ce qui est produit dans un rayon de 80-100 km autour de ces agglomérations  est « exporté » !

Cette autosuffisance varie selon les aires urbaines. Avignon vient en tête avec 8%, suivie par un petit groupe de villes situé autour de 6-6,5 %, comprenant notamment  Valence, Nantes, Angers, Saint- Brieuc.  Certaines aires  présentent  d’ailleurs un bon niveau d’autonomie pour certains produits : les fruits et légumes à Avignon (30%), les volailles et les œufs à Saint-Brieuc, les produits laitiers à Rennes.  A l’extrême opposé, les aires de Thionville, Forbach,  Compiègne et Creil, sont en queue de peloton avec des taux inférieurs à 0.2% note 8

En moyenne, les habitants des aires urbaines consomment tout juste chaque année 15,50 euros par tête de produits locaux. On retrouve ici les contrastes régionaux : c’est davantage pour Avignon  où  55 euros  reviennent aux producteurs locaux, mais c’est moins d’un euro pour les  villes mal classées.

L’essentiel de la production agricole des aires urbaines est en fait incorporé dans des produits alimentaires consommés hors de leur territoire.

Au bout du compte, l’autonomie alimentaire des aires urbaines est souvent très  réduite, même pour de très grandes villes ; Paris  par exemple dispose seulement  de trois ou quatre jours de réserve.

L’amélioration de la situation peut emprunter plusieurs voies…

Repenser la distribution 

Cela peut se faire en développant les « supermarchés paysans », « coopératifs », ou « 100% local », et par le soutien à la vente en « circuit court ».

Les AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) sont désormais bien connues. Le premier exemple de dispositif de ce genre est apparu au Japon, suite à un scandale sanitaire; des mères de famille ont établi dès 1965 les premières « coopérations »  pour disposer de produits alimentaires obtenus sans produits chimiques et exempts de mercure. En France, la création des Amap se fait en 2001, en réaction contre la « malbouffe ». On en compte aujourd’hui environ 3000, qui concernent 7000 producteurs et touchent 70 000 familles. Cela correspondrait à 15% de leur consommation alimentaire.

S’y ajoutent d’autres acteurs et modalités : des « entreprises » (comme les marchés forains, les tournées, les réseaux comme ‘la ruche qui dit oui’), ou ceux qui naissent ‘d’initiatives citoyennes’ (coopératives, cantines scolaires…).

L’idée est bien de nature économique : il s’agit de conjuguer un schéma de distribution direct (=le moins possible d’intermédiaires) et la proximité géographique pour le bénéfice commun des producteurs et des consommateurs. Mais on vise aussi à favoriser la transparence et l’équité des échanges, le lien social, et la préservation de l’environnement.

Les produits commercialisés sont encore majoritairement issus d’une agriculture traditionnelle. Local  n’est pas nécessairement synonyme de ‘bio’. La part du bio représente 6% des achats alimentaires  français. Mais il progresse vite dans les esprits et dans les comportements, comme dans la production ; l’agriculture bio en  France concerne  9.5% des exploitants et occupe désormais  8% des superficies agricoles.

L’écho grandissant de « l’agriculture urbaine »

Pour améliorer l’autonomie alimentaire on peut aussi chercher à rapprocher la production agricole locale de la demande des consommateurs résidents. Une première  façon de faire consisterait à réorienter l’agriculture locale environnante. Le potentiel agricole local pourrait être réorienté vers la consommation locale, ou modifié pour mieux coller  aux besoins locaux. Le potentiel des cent premières aires urbaines  pourrait ainsi couvrir plus de la moitié (en valeur) des besoins agricoles incorporés dans la consommation alimentaire.

La promotion d’une « agriculture urbaine » est une autre piste, tout à fait dans l’air du temps.

Pour diminuer la dépendance alimentaire  des villes entreprennent  ou envisagent de produire sur leur territoire une partie de leur alimentation,  via la création de jardins maraîchers, de vergers, de petits élevages, ou autres « fermes urbaines ».  C’est aussi l’une des solutions proposée par la FAO pour répondre aux besoins de la sécurité alimentaire dans villes de pays à faible revenu.

Il existe des précédents : les activités agricoles ont toujours existé en ville ou à proximité.  Mais les expériences et  projets contemporains s’inscrivent dans une perspective de reconquête territoriale, ouvertement « localiste», soucieuse de réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz carbonique, ou de  recycler les déchets organiques.note 9 Ces  « initiatives de transition »,  lancées par divers acteurs –municipalités,  groupes de citoyens, associations…-, revêtent en outre une vocation pédagogique et une dimension sociale (favoriser les rencontres et les échanges).

Les lieux où se déploie cette agriculture urbaine sont en partie originaux : outre les potagers partagés, on sollicite les cours, les toits, et on verra bientôt des formes nouvelles  « d’agriculture verticale ». Les projets urbains doivent il est vrai surmonter quelques obstacles particuliers, tels que la faible  disponibilité et le coût du foncier, l’accès à l’eau, la pollution.

Le gaspillage alimentaire: un autre enjeu majeur

 environnemental, éthique et éducatif

Dix millions de tonnes: c’est le poids estimé du gaspillage alimentaire annuel en France. Cela équivaut à  peu près à 6 milliards de repas, quand les ‘Restos du Cœur’ en distribuent 140 à 150 millions !  Nous jetons 20 à 30 kg d’aliments par personne et par an, dont 7 kg encore emballés; un gâchis estimé à 108 euros par personne et par an.note10

Ce gaspillage déconcertant s’effectue à toutes les étapes du circuit, de la production (un tiers du total) à la consommation (un autre tiers, restauration comprise) en passant par la transformation (21%) et la distribution (14%). Tous ces secteurs sont concernés, pour des raisons différentes: surproduction, récoltes laissées sur pied, calibrage strict et critères « esthétiques »,  rupture de la chaîne de froid, mauvaise gestion des stocks …

Le gaspillage alimentaire  est en réalité mondial, et coûte très cher : l’ONU estime qu’un tiers de la production agricole mondiale est gaspillée. Ce gaspillage pourrait pourtant être en bonne partie évité… et le monde pourrait envisager de manger à sa faim.

[Compte rendu  établi  par G. Jovenet, à partir de ses notes]

*****

Note 7 : Denis Lefèvre est issu du monde rural (Aisne) et s’intéresse particulièrement à son évolution. Il a écrit bon nombre d’articles et d’ouvrages. Sa synthèse récente, copieuse  et  très lisible – « Des racines et des gênes » – se déploie en deux tomes : 1. Du Néolithique à la deuxième guerre mondiale »  et 2. « La période contemporaine » (éditions Rue de l’échiquier, 2018), qui  existent au format poche.  D. Lefèvre s’est aussi beaucoup  intéressé  à Emmaüs (à son fondateur comme à son action) et engagé dans la vie associative.

Note 8 : Une soixantaine d’aires urbaines présentent des valeurs inférieures à la moyenne  générale de 2%. C’est en Bretagne et dans les Pays de Loire qu’on trouve le plus grand nombre d’aires urbaines présentant des taux d’autosuffisance  élevés.  C’est dans le Grand Est et les Hauts de France qu’on recense  la plupart  des aires les moins autosuffisantes.  Lille (3.16 %), Saint Omer (2.76), Béthune (2.17)  devancent Boulogne, Dunkerque ou Arras (entre 1,5 et 1,9 %)  en meilleure posture que Valenciennes, Calais ou Lens (moins de 1%).

Note 9 : Plusieurs villes comme Rennes ou Albi se sont récemment  lancées dans un projet « d’autosuffisance alimentaire » qui s’inscrit dans un ensemble d’enjeux de « résilience » territoriale : sécuriser les approvisionnements, diminuer la dépendance,  améliorer la qualité et la traçabilité des produits, réduire l’empreinte carbone

Note 10 : Sur ce thème du gaspillage, Denis Lefèvre a fait référence à l’ADEME, agence de la transition écologique   www.ademe.fr  , « çà suffit le gâchis » (12 octobre 2020).

Signalons aussi  le CeRDD,  centre de ressource du développement durable (groupement d’intérêt public)  qu’on retrouvera sur www. cerdd.org ,  et l’association France nature environnement www.fne.asso.fr  qui proposent une documentation claire sur le sujet.

Article publié par Guy Jovenet – CCFD Terre Solidaire • Publié  • 33 visites