Emmaüs, pionnier de l’économie circulaire

Le mouvement Emmaüs a dès l’origine lutté contre le gaspillage, à contre-courant des trente glorieuses, mais anticipant les comportements aujourd’hui de bon nombre de nos contemporains, de plus en plus nombreux, vers plus de sobriété.

En créant, il y a 70 ans le mouvement Emmaüs, l’abbé Pierre et ses premiers compagnons se sont montrés prophétiques sur bien des points, liant notamment lutte contre l’exclusion et lutte contre le gaspillage, en proposant de refaire une santé dans un cadre communautaire à des personnes que la société a exclues et en leur faisant retaper des objets dont cette même société ne veut plus. A l’époque, l’urbanisation génère de nouvelles habitudes avec la consommation de masse. L’on découvre les déchets, les plastiques et la poubelle. Dans ce contexte Emmaüs va jouer un rôle de pionnier dans les techniques de la récupération et du recyclage inventant le tri sélectif dès les années 1960, anticipant avec le bric-à-brac l’explosion des vide-greniers et des brocantes, puis des boutiques vintage et du e-commerce version le bon coin, et concevant l’économie circulaire, bien avant que les grandes entreprises ne s’y intéressent.

Tous ces éléments demeurent dans l’ADN du mouvement Emmaüs en France comme dans le monde. C’est notamment le cas au village Emmaüs Lescar Pau, la plus grande communauté Emmaüs de France, qui, sous la houlette de son fondateur et actuel responsable, Germain Sarhy, n’a pas cessé d’innover au cours des dernières décennies. La création en 2008 d’une recyclerie-déchetterie liée à la Communauté d’agglomération de Pau a permis le développement d’autres activités. Aujourd’hui, avec plus de 100 000 passages par an, (le samedi, ce sont entre 400 et 600 voitures), Emmaüs Lescar Pau recycle bon an mal an plus de 80 % des 85 000 tonnes de déchets apportés. Ce qui, du point de vue environnemental, permet d’éviter le rejet de 6 030 tonnes de CO2 dans l’atmosphère et donc de limiter d’autant les effets du changement climatique. Des objets en tous genres, des meubles de tous styles, des vêtements de toutes tailles seront réparés, restaurés dans les 27 ateliers que compte le village. Quant aux déchets verts, gravats et autres encombrants, ils seront recyclés dans le cadre de partenariat avec différentes entreprises régionales. L’objectif étant à terme de recycler 100 % de déchets.

Au cœur de l’économie locale et régionale, Emmaüs Lescar Pau compte rien que pour le recyclage plus de 160 partenaires revendiquant une stratégie gagnant/gagnant, comme le reconnaissait le maire de Lescar, Christian Laine : « Nous avons deux déchetteries sur la ville ; l’une, gérée par un syndicat, qui nous coûte de l’argent. L’autre, gérée par Emmaüs, qui ne nous coûte rien. »

Au-delà de la gestion des déchets, le village Emmaüs Lescar Pau a aussi innové dans d’autres secteurs comme l’éco-construction, avec l’édification de maisons en bois pour les compagnons ou encore, dans le souci de lutter contre le réchauffement climatique, de protéger la biodiversité et de défendre l’agriculture durable, avec la création d’une ferme alternative qui s’étend sur une trentaine d’hectares de terres et de prés, et permet une forte autonomie alimentaire (de 50 % pour les fruits et les légumes à 80 % pour la viande). Près de 200 repas sont pris chaque midi au réfectoire, sans compter le restaurant, et l’épicerie qui valorise les spécialités locales. Depuis peu, un atelier de transformation et de conserves et une boulangerie sont venus renforcer cette stratégie d’autonomie alimentaire.

Le village Emmaüs de Lescar-Pau qui a prospéré sur la folie consumériste tout en promouvant une forme de sobriété heureuse, chère à Pierre Rabhi, est devenu au fil des années un lieu de ressourcement créatif, qui accueille plus d’un millier de chineurs quotidiennement. C’est aussi un lieu futuriste d’échanges et de diversité, de rencontres et de convivialité, qui permet tout à la fois de déposer des déchets à la déchetterie-recyclerie, fouiner au bric-à-brac, se promener dans la ferme alternative, visiter les ateliers et, éventuellement, s’initier aux premiers rudiments de certains métiers, déjeuner au restaurant ou pique-niquer au milieu des animaux de la ferme, découvrir l’architecture originale du village avec comme perspective la magnifique chaîne des Pyrénées, s’offrir une petite crêpe, si l’on a un creux à l’estomac, ou boire une bière au bar, se distraire en écoutant un concert ou se cultiver lors d’une conférence débat sur les abeilles, la biodiversité, l’altermondialisme, la Palestine ou le changement climatique…