L’agriculture comme art

C’est une belle ballade sensible, érudite et agreste que nous proposent l’agronome Louise Browaeys, fille de maraîchers, et le fondateur de ProNatura  Henri de Pazzis dans leur ouvrage La part de la terre. Les auteurs s’inspirent des mythes antiques mais aussi de textes plus contemporains d’Albert Camus, de Gaston Bachelard ou de Jean Giono, pour nous raconter le plus beau métier du monde, celui de paysan, qui est « une part de la terre ». Pour les auteurs, le geste qui relie l’homme à la terre, et donc la main à l’intelligence, forme la pensée et le paysan est donc beaucoup plus qu’un producteur nourricier. De même l’agriculture ne se réduit pas à sa fonction de production, c’est aussi un « art des commencements ». « L’agriculture ordonnance le monde à mesure humaine », écrivent-ils. Le livre nous transporte dans cette fraternité secrète entre l’homme, la nature, l’outil, parfois source de tensions entre ager et silva, entre pastoralisme et culture végétale, mais fondateur de paysages et de civilisations. D’ailleurs homme, humus et humilité, notent les auteurs, ne dérivent-ils pas de la même origine étymologique ! Certes depuis un siècle, qui a vu disparaître neuf paysans sur dix, la machine a remplacé l’outil, la technique s’est imposée à la science, réduisant l’agriculteur à l’état de producteur. Au moment où je terminais la lecture de ce livre, la chaîne parlementaire proposait un documentaire sur les matières premières et les dérives de la spéculation. Deux mondes aux antipodes l’un de l’autre. Me revenait alors à l’esprit ce propos de Michel Tesseydou, éleveur dans le Cantal et ancien président du CNJA, cité dans le livre : « Ils (les consommateurs et sans doute les spéculateurs –  ndlr) ne se rendent pas compte du peu d’argent que nous gagnons et du temps que nous passons à essayer de nourrir les autres », ajoutant : « Nous sommes des passionnés, donc des vaincus, donc des vainqueurs. » La part de la terre – delachaux et niestlé – octobre 2014 –  157 pages, 19 €.