La France de Poupou…

Avec la disparition de Raymond Poulidor, c’est l’un des derniers témoins emblématiques de cette France paysanne qui disparaît. Poulidor a passé sa jeunesse dans la petite exploitation de la Creuse, travaillant aux champs jusqu’à la tombée de la nuit, avant l’entraînement. Pour lui, comme pour des générations de jeunes issus de cette France paysanne souvent pauvre, la compétition cycliste fut une forme de revanche sociale.

Quant à la rivalité entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, notamment ce fameux coude à coude sur les pentes du Puy-de-Dôme durant le Tour de 1964, elle témoignait de deux visions radicalement différentes de la société française. Sur fond de débat sur la fin des paysans, – le sociologue Henri Mendras publia La fin des paysans ? en 1967 -, le normand Anquetil qui avait aussi des racines rurales, (son père produisait des fraises à Quincampoix), représentait la France moderniste, l’urbain, l’avenir, la technologie, le marché… Il était perfectionniste et épicurien, voyageait en avion et courait à l’économie, un chronomètre dans la tête. Sa carrière de cycliste finie, il deviendra gentleman-farmer. Le limousin Poulidor incarnait la sagesse et le courage, le terroir et le bon sens, la simplicité et la sécurité, le sens de l’économie « un sou, c’est un sou », en un temps où le rapport à l’argent était bien différent. La France de « Maître Jacques » se passionnait pour Le défi américain de Jean-Jacques Servan-Schreiber, la France de Poupou craignait cette froide modernité que décrivait le cinéaste Jacques Tati dans Playtime.

Durant ces « Trente glorieuses », l’éternel second prendra sa revanche dans le cœur des Français. Sans doute faut-il voir dans cette « poupoularité », expression inventée par Antoine Blondin, la revanche du second sur le premier de la classe, trop brillant pour devenir chaleureux, mais aussi cette opposition qui perdure et traverse le temps, bien au-delà du clivage entre modernes et anciens, en un temps où le notion de progrès n’a plus forcément la charge positive qu’elle pouvait avoir auparavant.