La culture du pain, le terroir de l’esprit

Ce 16 octobre est à la fois journée mondiale de lutte contre la faim et journée internationale du pain. Cette concomitance, le fait du hasard ou pas ? Toujours est-il qu’on ne peut que constater, comme l’historien Fernand Braudel, « combien la trinité blé, farine, pain remplit l’histoire de l’Europe ». Pendant des siècles, les terres cultivées étaient appelées « terres à pain » et les céréales ont joué un rôle central dans l’alimentation des peuples, représentant jusqu’à plus de 80 % des dépenses. C’était la nourriture la moins chère mais les rendements céréaliers demeuraient faibles : cinq grains récoltés pour un grain en terre, jusqu’au XVIIIème siècle (contre 45 à 50 grains aujourd’hui), les bonnes années. Les mauvaises, c’était cet engrenage tyrannique : mauvaises conditions climatiques, récoltes en baisse, spéculation, cherté, disettes, voire famines, avec parfois les émeutes, comme la guerre des farines qui mettra à mal la politique libérale de Turgot.

Tout change à partir du XIXème siècle et surtout dès le milieu du XXème siècle, où l’on ne gagne plus son pain, mais son bifteck. La consommation de pain chute : 900 grammes par jour et par personne en 1900, 225 grammes en 1960 et 90 grammes aujourd’hui. Alors ringard le pain en ces temps d’Internet, de smartphone et de malbouffe ? s’interroge l’historien américain Steven L. Kaplan, amoureux de la France et du pain… français (il lui a consacré une vingtaine d’ouvrages), et qui a fait sienne cette phrase du dramaturge Jean Anouilh : « J’aime la réalité, elle a le goût du pain ». Dans son dernier livre Pour le pain (1), il s’inquiète du goût « qui fout le camp même dans ce pays qui se targue d’être la Mecque de l’art de vivre » et en appelle à l’esprit de résistance face à cette détérioration de la culture du pain qu’il appelle « terroir de l’esprit ». Car au-delà de la consommation de pain, c’est toute une culture qui, du champ de céréales au fournil en passant par le moulin, est remise en cause. D’où ce vibrant appel à renouer avec la qualité (comme a su le faire le monde du vin) et à reprendre le chemin des boulangeries…

  • Pour le Pain – Steven L.Kaplan – Fayard – 2020 – 22 €