Captation de la valeur ajoutée

Poursuivant mon exploration des archives de La France Agricole, je note combien les articles sur le prix du blé et du pain sont récurrents au cours des années d’après-guerre, dans un contexte, il est vrai, trouble :  climat peu favorable, rendements faibles (de l’ordre de 15 quintaux), inflation galopante, pénurie avec des tickets de rationnement qui passent de 300 g/jour à 250 g… Dabs ce florilège de textes, un article de Georges Bréart sur le prix du pain en 1946 m’interpelle. Il indique que sur le prix du kilo de pain vendu aux consommateurs 16 F de l’époque, 8,88 F reviennent aux cultivateurs, soit 53 % du prix de la baguette, les taxes de l’Etat représentant 12 % du prix tandis que les intermédiaires (transport, organismes stockeurs, minotiers et boulangers) se partageaient 5,70 F (35 % du prix). « Les paysans, s’indignait l’auteur de l’article, sont pour moitié seulement dans le coût du pain quotidien que d’ailleurs le salarié se procure au prix d’un temps de travail légèrement inférieur à celui d’avant-guerre. »

Qu’écrirait aujourd’hui l’auteur, alors que la part de la valeur du blé dans la baguette de pain n’a pas cessé de chuter au cours des sept dernières décennies ? Certes les chiffres diffèrent. Certaines études évoquent 3 centimes d’euros pour une baguette de 250 grammes, tandis qu’une étude de l’Observatoire de la formation du prix et des marges de juin 2023 l’estime à 11,4 % et montre que les salaires et charges (30 à 40 % du prix) pèsent le plus lourd, devant les frais fixes, le loyer, l’énergie (20 %) et la marge du boulanger (entre 10 et 20 %). Quel que soit le chiffre retenu (entre 5 et 10 %), constatons toutefois que ces dernières années, les variations du prix du blé n’ont eu qu’un effet réel marginal sur le prix de la baguette. Tout cela traduit cette évolution sur les cinq dernières décennies d’une captation de la valeur ajoutée (d’ailleurs beaucoup plus ample sur d’autres produits que le pain !) par l’aval de l’agriculture qui fait qu’aujourd’hui, sur 100 € de dépenses alimentaires, seuls 6,90 € sont perçus par les agriculteurs français contre 12 € en 1995.