Opposition au parc éolien du Ru Garnier – ma contribution

Madame la Commissaire enquêtrice,

J’habite Breny, village situé à moins de 5 kilomètres du projet éolien de Rocourt-Saint-Martin, Armentières, déjà concerné par le parc de Montelut situé à moins de 2 kilomètres. Je ne suis pas opposé fondamentalement aux diverses formes d’énergies renouvelables et je suis sensible aux questions environnementales que j’ai beaucoup traitées dans ma vie professionnelle. En tant que citoyen, la question des éoliennes m’interpelle, et d’abord au niveau des conséquences sur les paysages.

Trop c’est trop ! et c’est moche.

Je partage l’avis du président de la République que rapporte un article du Monde du 28 juin 2022 et notamment cette confidence qu’il a faite à Stéphane Bern, animateur télé et défenseur du patrimoine : « C’est vrai que c’est moche, tu as bien raison, il y en a trop ».

Trop c’est trop, dans cette région des Hauts de France qui s’étend sur 6 % du territoire hexagonal mais accueille plus de 30 % des éoliennes. Notre zone n’est pas épargnée. Lorsque l’on vient de Soissons sur la départementale 1 en direction de Château Thierry, à hauteur du Plessier Huleu, on peut voir la différence entre un paysage défiguré par les éoliennes sur la droite, avec la vue de plusieurs dizaines d’éoliennes auxquelles doivent s’ajouter celles du parc de Chouy, et sur la gauche une zone encore vierge (pour le moment !) d’éoliennes.

Alors je n’ai pas envie en tant qu’habitant de cette zone, et randonneur soucieux de la qualité de vie et d’un environnement agréable, de voir cette catastrophe paysagère de la rive droite de la Départementale 1 s’étendre vers la rive gauche.

Rive gauche, qui plus est riche d’un patrimoine historique, architectural et naturel.

En premier lieu, le monument les fantômes de Landowski, qui commémore une bataille qui allait être à l’origine du repli allemand en 1918. Les fantômes de Landowski perchés sur cette petite colline dominant une vaste plaine, lieu de combats intenses à l’origine de la mort de plusieurs milliers de combattants, c’est un peu notre colline inspirée, notre colline sacrée. A l’occasion du cinquantième anniversaire de la bataille de la Marne, le 18 juillet 1968, le général de Gaulle était accompagné de Maurice Genevoix. Ce dernier déclara : « Vous étiez là mes camarades. C’est pour vous, pour vous tous que je parle. Vous êtes là comme au premier jour. Et vous voyez votre pays se souvenir de vous. Il sait qu’il faut vous respecter, vous entourer, vous remercier. L’histoire de France a besoin de vous ».

Nous habitons ces zones meurtries où le souvenir de cette tragédie se lit au quotidien dans les paysages, où l’histoire rejoint la géographie. Si la nature et l’agriculture ont repris leurs droits, les paysages présentent encore quelques plaies béantes, tel bosquet lieu d’affrontement, tel monticule qui ne doit rien à la géographie… Mais plus que ces immuables cicatrices, nos paysages semblent imprégnés de mélancolie, comme s’il planait depuis un siècle une brume automnale même au cours des plus beaux jours de l’été. C’est sans doute pour tous ces sacrifiés de la bêtise humaine le moyen de rappeler aux générations futures : n’oubliez pas ! Alors ne sacrifions pas ces paysages mémoriels à ces squelettiques moulins à vent…

Sur la rive gauche de la D1, d’autres richesses de notre patrimoine historique : l’abbaye de Coincy, le château d’Armentières, quelques églises, tous situés dans un rayon de un à deux kilomètres du parc éolien, un peu plus loin l’abbaye du Val Secret.

Et n’oublions pas le patrimoine naturel avec la Hottée du diable, site naturel le plus visité de Picardie. Ses sculptures étonnantes d’une nature créatrice inspireront Camille Claudel. Quant à Paul Claudel, il écrit dans son Journal : « Le coucher du soleil derrière le geyn, sur la vallée de l’Ourcq. C’est là que j’ai conçu Tête d’Or et que j’ai eu conscience de la vocation de l’univers ».

La biodiversité, enjeu essentiel de notre futur, devrait être étudiée avec plus de discernement. Le parc voisin de Montelut ne fonctionne que la nuit du fait de la nidification de milan. Je veux bien croire que les études naturalistes aient été menées scrupuleusement, mais enfin !!! Je me souviens d’une réunion organisée à l’initiative de la communauté de communes du canton d’Oulchy-le-Château à Hartennes, il y a plus de quinze ans. Au cours de cette réunion publique un intervenant spécialiste des migrations d’oiseaux avait attiré l’attention des participants sur le fait que la Départementale 1 était une voie de migrations, tout comme la vallée de l’Ourcq. Or la zone concernée par le projet Rocourt Armentières se trouve au croisement de ces deux voies.

Biodiversité, paysages ne semblent guère préoccupés les promoteurs de projet éoliens qui ont toujours tendance à minimiser l’impact des éoliennes sur le paysage, voire à imposer leurs normes. Je considère que ces études d’impact notamment paysager devraient être réalisées par des structures indépendantes. Comment faire confiance à la filiale d’une société allemande RWE, numéro 2 outre-Rhin dans le secteur de l’énergie, dont l’investissement dans l’éolien a pour but essentiellement de faire du profit et de se donner bonne conscience. Ce groupe est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre en Europe et le premier exploitant européen de centrales à charbon. Il montre si peu d’enthousiasme pour abandonner la filière charbon que l’assureur français AXA a décidé de cesser d’assurer les activités de RWE, y compris dans les énergies renouvelables !!!

Toujours l’argent !

Que l’on prenne l’éolien par n’importe quel angle, tout nous ramène à l’argent. Des sommes considérables sont investies, financées par notre contribution sur les factures d’électricité. Le contrat oblige EDF à acheter leur électricité au promoteur à deux fois le prix du KWh pendant quinze ans. Pour le parc éolien en question, c’est entre 10 et 15 millions d’euros de coût d’installation (2 à 3 millions d’euros par éolienne). Un investissement important mais qui rapporte gros pour le promoteur : 350 000 € par éolienne par an, soit près de 8 millions sur 20 ans. Ce qui nous donne pour un parc de cinq éoliennes : 56 millions d’euros. Qui plus est est-on assuré de la pérennité de ces sociétés lorsque la rentabilité sera moindre ? Le coût du démontage est à la charge du promoteur qui doit verser une réserve obligatoire de 50 000 € par éolienne. Ce qui est très peu par rapport au coût réel du démantèlement. En 2014, le coût du démantèlement d’une éolienne de 150 mètres revenait à 414 000 €. Compte tenu de l’accroissement de la taille des éoliennes et de l’évolution des coûts, on peut estimer que d’ici 20 ans, le coût dépassera les 500 000 €. En cas de défaillance du promoteur, du fait par exemple d’une mise en faillite, la charge du démantèlement reviendra au propriétaire. Certes ce dernier aura reçu sur la durée de vie d’une éolienne soit 20 à 25 ans, environ 150 000 € par éolienne. Le coût du démontage engendrera un déficit de l’ordre de 350 000 € par éolienne. S’il n’est pas en mesure d’assumer le coût, ce sont les collectivités locales qui devront suppléer, donc le contribuable. Ce genre de dysfonctionnement explique le fait qu’en Californie, 14 000 éoliennes rouillent en plein air… Des cimetières d’éoliennes, ce pourraient être nos paysages dans 20 ans…

Déstructuration du lien social

J’attire aussi votre attention sur un point souvent négligé. Les éoliennes contribuent à la déstructuration du lien social dans les villages. Je me souviens d’un reportage réalisé, il y a quelques années, pour l’émission C’est dans l’air de France 5 consacré ce jour là aux éoliennes. L’équipe de France 5 avait filmé des opposants d’Armentières sur Ourcq et notamment cet épisode inique lorsqu’ils avaient tenté de joindre le maire de la commune par téléphone… Echanges rudes notamment de la part de l’édile, témoignant de l’impossibilité de se parler.

Nous sommes dans une région relativement pauvre économiquement, avec très peu d’emplois dans l’industrie et le tertiaire, avec aussi un faible niveau de revenu moyen par habitant et de gros problèmes de précarité énergétique. Alors il faut comprendre les populations. On ne leur propose comme avenir heureux que des éoliennes alors qu’ils constatent au quotidien la fermeture des services publics, la disparition de bon nombre d’entreprises artisanales ou de petits commerces, la difficulté de trouver un médecin… A Oulchy-le-Château (un peu plus de 800 habitants), au cours des vingt dernières années, une douzaine de commerces et d’artisans ont fermé boutique ou n’ont pas trouvé de successeurs. Ce n’est pas d’éoliennes dont ont besoin ces habitants qui ne profiteront guère de la manne financière, réservée à quelques propriétaires exploitants, mais d’emplois (en l’occurrence les parcs éoliens ne créent pas d’emplois locaux ou si peu !), et de services publics.

Nous sommes dans une région avec beaucoup de précarité énergétique. Bénévole sur la zone pour Secours catholique, je puis en témoigner… Mieux vaudrait utiliser cet argent en mettant en place un sérieux programme d’économie d’énergie, comme l’isolation des logements existants. Certes les habitants des villages concernés peuvent bénéficier indirectement des recettes fiscales que touchera la commune. Mais force est de constater que la perte de la valeur immobilière de toutes les maisons du village concerné sera supérieure à cette dotation. L’on rétorquera que l’ADEME a réalisé une étude sur la perte de la valeur immobilière liée à la présence d’éoliennes. Elle estime une perte de l’ordre de 1,5 % pour les biens situés à moins de 5 kilomètres d’un parc éolien. Or des études menées au Royaume Uni montrent que la valorisation des biens situés dans un rayon d’environ 2 kilomètres était dégradée d’environ 11 %. Au-delà de ces chiffres, posons ce constat de bon sens : qui accepterait d’acheter au prix normal du marché un bien immobilier à Rocourt, Armentières ou Coincy, situé entre 500 et 1 000 mètres d’un parc éolien composé de cinq machines industrielles de 200 mètres de haut et parfaitement visibles, avec toutes les nuisances visuelles et sonores qu’elles engendrent ?

Enfin, dernier point. Comment ne pas s’indigner du mode de fonctionnement si peu démocratique de la procédure ? Admettons que vous émettiez un avis négatif sur le projet, que les collectivités territoriales (Département, Région, Communes, Communautés d’agglomération…) fassent de même, la décision finale serait dans les mains du seul préfet, seul décisionnaire, qui peut ne pas tenir compte des avis des uns et des autres. Restent les recours juridiques, mais enfin…

Voilà, Madame, les raisons pour lesquelles je suis opposé au projet de parc éolien de Rocourt, Armentières et Coincy.

Je vous prie de croire, Madame, en l’assurance de ma considération distinguée.