Il y a quelques mois j’avais consacré un billet admiratif à l’action de l’abbé Pierre dans la défense du monde paysan. Quelques années auparavant, j’avais découvert dans le cadre d’entretiens pour un livre, un personnage hors du commun, complexe, rebelle, homme de colères et d’excès, qui, dans sa jeunesse voulait être à la fois François d’Assise et Napoléon (quel orgueil !), hésitant entre la grotte (le monastère) et le monde (l’engagement politique). Ainsi le jeune Henry Grouès qui voulait être à la fois marin, missionnaire ou brigand. Brigand, il le sera durant la Résistance lorsqu’il faisait des faux papiers pour les Juifs, mais osant, cinq décennies plus tard, défendre Roger Garaudy, auteur d’un livre remettant en cause le nombre de victimes de la Shoah. Puis l’adolescent qui, dans ses carnets d’enfance, écrivait : « Pourquoi m’avoir donné un cœur si aimant ? » et aspirait à la sainteté mais qui, à la fin de sa vie, ne veut plus être un saint (Et l’on sait désormais pourquoi !).
Apprenant les premières révélations, j’ai aussitôt pensé à un échange entre l’abbé Pierre et le général de Gaulle. L’abbé Pierre, qui n’était pas idolâtre de De Gaulle, loin s’en faut, lui dit un jour : « En définitive, nous autres, mon général, nous n’avons que de petits défauts parce que nous n’avons que de petites qualités. Mais, vous, mon Dieu, que vous avez de grandes qualités. » Sous-entendu, de grands défauts… A la lueur des dernières révélations, l’on pourrait lui renvoyer le compliment, quoi que les grands défauts mésestiment amplement la gravité des faits incriminés.
De quoi nous interroger sur ce contraste saisissant entre le bien et le mal chez celui que l’on considérait comme un prophète moderne, et ce besoin que nous avons collectivement d’héroïciser certains personnages, figures du Bien, mais non dénués de « misérables secrets ». D’ailleurs l’abbé Pierre le reconnaissait lui-même : « Toute identification à un homme, des idéaux, des valeurs pour lesquelles on veut vivre est une folle imprudence qui, tôt ou tard, vous laissera meurtri. Idolâtrer qui que ce soit, c’est à lui aussi, au bout du compte, faire un grand mal. »