Mansholt, visionnaire

L’éditeur Les petits matins a eu la bonne idée de republier La lettre Mansholt (1), un texte de 1972, sorti à l’acmé des Trente Glorieuses, dont la crise pétrolière de l’année suivante signera le crépuscule. A l’époque le Club de Rome s’apprête à publier une étude du MIT (2) sur les limites à la croissance qui s’inquiète de la raréfaction des ressources naturelles et de l’explosion démographique, met en garde quant aux effets de la croissance économique sur les équilibres naturels. Informé des conclusions de l’étude, Sicco Mansholt alors vice-président de la Commission européenne, adresse une lettre au président de cette institution pour que celle-ci engage une réorientation radicale de la politique économique qui rompt avec la croissance. Il propose notamment une planification européenne qui doit privilégier la croissance qualitative (le bien-être) au détriment de la croissance matérielle, une forme de protectionnisme pour l’Europe, de nouveaux rapports avec les Pays en Développement et une réflexion sur le sens du travail.

Cette lettre suscite de vives critiques de la part de l’ensemble de l’échiquier français, de Georges Pompidou à Georges Marchais. Elle surprend aussi. S Mansholt, agriculteur, ministre social-démocrate de l’agriculture des Pays-Bas, membre de la Commission européenne en charge de l’agriculture, depuis plus de dix ans, jusqu’alors considéré comme un apôtre du productivisme, est ébranlé par les conclusions du Club de Rome. Tout comme l’agronome René Dumont, lui aussi productiviste dans les années d’après-guerre, et qui sera le premier candidat écologiste à une élection présidentielle. Dix ans plus tard les élections de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher imposeront un nouvel ordre économique mondial à contre-courant de ce texte qui apparaît aujourd’hui visionnaire. « Ces quelques pages de la lettre constituent à l’évidence un objet d’un débat profondément actuel », note dans la préface la sociologue Dominique Méda.

1/La Lettre Mansholt 1972 – Les Petits Matins – 80 pages – 10 €.

2/ Massachusetts Institute of Technology