Destruction créatrice

Sans doute les auteurs du livre La pandémie et l’agriculture (1), Thierry Pouch et Marine Raffray, tous deux économistes à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA), n’imaginaient-ils pas combien leurs analyses quant aux conséquences du virus sur l’agriculture et l’alimentation, allaient être confirmés (et de quelle manière !) par cette crise d’une toute autre nature qu’est la guerre en Ukraine. Le livre, sorti en février dernier, juste avant le début de ce conflit, montre combien cette crise pandémique, mais aussi la crise géopolitique liée à l’invasion russe, révèle, sur fond d’instabilité et de fragilité du monde, l’importance hautement stratégique de l’agriculture et du système alimentaire. Ce que l’on avait eu tendance à oublier !

Toutefois les auteurs considèrent que la pandémie aura été un accélérateur des mutations en cours plus qu’une rupture. Après tout le concept de souveraineté alimentaire date des années 1990 et le développement des circuits de proximité n’est pas nouveau. Quant à la mondialisation, du fait de ses effets sur la croissance des inégalités, elle est remise en cause depuis près de trois décennies. En effet la paix par les échanges commerciaux, version moderne du doux commerce de Montesquieu, la croissance par la financiarisation, ou la déréglementation du commerce pour éradiquer la faim dans le monde, sont autant d’arguments qui n’ont guère convaincu.

Et les auteurs de s’interroger : « La crise sanitaire serait-elle le marqueur, l’accélérateur de la décomposition des fondements économiques et sociaux de l’agriculture fordiste ? » Une chose est sûre : le monde ancien est ébranlé, tandis que les prémices d’un monde nouveau semblent émerger sur fond de défis environnementaux et d’innovations technologiques, sans que l’on prenne pleinement en compte les effets sociaux, annonçant des transitions difficiles. Ce que l’économiste autrichien Joseph Aloïs Schumpeter appelait au milieu du XXème siècle la « Destruction créatrice », elle-même source de conflits, dont l’histoire du capitalisme est truffée d’exemples.

1/ La pandémie et l’agriculture – Editions France Agricole – 19,90 €