Le progrès en question

Survolant les archives de la France Agricole, pour une chronique sur les 80 ans du journal, je découvre un édito datant de janvier 1951, dont le titre « naissance d’un monde nouveau » m’interpelle tant il me paraît contemporain. « Liberté ou contrainte, libéralisme, dirigisme ou dictature, un nouveau monde est en gestation », écrit le journaliste qui analyse notamment les liens entre progrès scientifique, social et économique, ouvrant la voie à ces fameuses Trente glorieuses et à une croissance économique que l’on croyait à l’époque infinie. D’ailleurs l’agriculture connaîtra une mutation considérable, avec plus de changements technologiques en cinq décennies que durant les cinq millénaires précédents. La fascination pour le progrès technique, héritée des Lumières, était telle que, jusque dans les années 1980, on avait hâte de prendre de l’âge pour mieux bénéficier de ce futur radieux ! Depuis le contexte a bien changé.

Pour son premier numéro de l’année, le 1 L’Hebdo a demandé à ses lecteurs de retenir un thème parmi quatre propositions à ses lecteurs qui choisirent : Le progrès a-t-il encore de l’avenir ? Le progrès technique ne fascine plus, tant il est désormais déconnecté du progrès social. Et le futur radieux est télescopé par ces parts obscurs du progrès que sont le retour des guerres, les catastrophes écologiques, les inégalités sociales grandissantes, la crise de la démocratie… Un sondage, publié par l’IFOP en 2022, montre que 65 % des Français jugent que l’humanité devrait ralentir les innovations si elle ne veut pas courir à sa perte. Déjà, en 1971, un sociologue, Alvin Toffler, dans un best-seller Le choc du futur, constatait que ces transformations rapides déconcertaient les gens et s’inquiétaient d’une « surdose d’informations ». Que dirait-il aujourd’hui, en ces temps de surabondance médiatique ? Quant à l’intelligence artificielle, source d’espoir, elle est aussi à l’origine de lourdes inquiétudes, surtout quand elle est portée par des aventuriers, tel Elon Musk, à la fois libertarien, transhumaniste, propagateur de fake news, rêvant de conquérir Mars… Pas de quoi rassurer !